Le risque autocratique aux États-Unis : Trump, les marchés et l'illusion du court-terme par Guy Kapayo

 

Le risque autocratique aux États-Unis : Trump, les marchés et l’illusion du court terme.par Guy Kapayo.

Introduction

Dans les manuels de finance, les risques sont classés et modélisés avec rigueur : risque de taux, de change, de crédit, de liquidité. Mais il existe un facteur tout aussi déterminant que les marchés peinent à intégrer : le risque autocratique. Il survient lorsqu’un dirigeant concentre le pouvoir, affaiblit les contre-pouvoirs et impose ses décisions de manière unilatérale, au détriment de la stabilité institutionnelle.

Ce risque, souvent perçu comme l’apanage des pays émergents ou fragiles, est aujourd’hui devenu une réalité au cœur de la première puissance mondiale. Donald Trump, réélu président des États-Unis, exerce le pouvoir avec des traits autocratiques évidents : marginalisation du Congrès, mise sous pression de la justice, attaques répétées contre les médias, et décisions économiques prises sans concertation. Les États-Unis, longtemps présentés comme un modèle de démocratie libérale, voient leurs institutions fragilisées par cette gouvernance.

À court terme, les marchés financiers semblent y trouver leur compte. Les annonces de baisses d’impôts, de dérégulation et de soutien aux industries nationales dopent les bénéfices et entretiennent l’euphorie boursière. Mais à moyen et long terme, la réalité est tout autre : tarifs douaniers universels, isolement commercial, interdiction d’accès aux talents étrangers dont dépendent la Silicon Valley et le Nasdaq, instabilité politique permanente. Autant de décisions qui menacent directement la compétitivité structurelle des États-Unis et la confiance des investisseurs internationaux.

Ce paradoxe – entre prospérité apparente et fragilité institutionnelle – constitue l’objet de cet article. Nous analyserons pourquoi le risque autocratique est négligé par les marchés, comment il s’incarne dans la gouvernance de Donald Trump, et quelles conséquences il pourrait avoir pour la finance mondiale et le leadership technologique américain.

Chapitre 1 – Comprendre le risque autocratie en finance

Le risque autocratie désigne la fragilisation des institutions démocratiques et la concentration du pouvoir entre les mains d’un dirigeant, entraînant des décisions économiques imprévisibles.

Pour les investisseurs, cela signifie :

  • insécurité juridique des contrats,

  • menace sur la propriété privée,

  • imprévisibilité des règles du jeu économique.

L’histoire récente a déjà démontré les dangers de ce risque :

  • Irak : les entreprises étrangères présentes sous Saddam Hussein ont perdu des milliards après les sanctions internationales et la guerre.

  • Libye : les majors pétrolières ont dû suspendre ou abandonner leurs projets après la chute de Kadhafi et la guerre civile.

  • Russie : en 2022, BP, Renault, McDonald’s, Shell et d’autres ont subi des pertes colossales en quittant le pays après l’invasion de l’Ukraine.

Ces cas révèlent une constante : les marchés sous-estiment le risque autocratique tant que les profits coulent, mais quand il se matérialise, les pertes sont brutales et souvent irréversibles.

Chapitre 2 – Trump 2.0 : la guerre commerciale universelle

Donald Trump a décidé d’imposer des tarifs douaniers généralisés à tous les pays. Cette décision unilatérale, sans concertation avec le Congrès ni les alliés, illustre le facteur de risque autocratie appliqué au commerce international.

Les conséquences sont immédiates :

  • inflation importée pour les ménages américains,

  • réduction de la compétitivité des entreprises dépendantes de composants importés,

  • rétorsions commerciales de la part des partenaires.

Ce choix rappelle le Smoot-Hawley Tariff Act (1930), qui avait aggravé la Grande Dépression. Mais il rappelle aussi les expériences vécues par les investisseurs en Irak, en Libye et en Russie : une politique autoritaire peut séduire à court terme, mais elle déstabilise structurellement l’économie et détruit la valeur des actifs.


Chapitre 3 – La fermeture migratoire et le coût pour la Silicon Valley

La Silicon Valley a bâti sa puissance sur l’attractivité des talents du monde entier. Or, Donald Trump a choisi de restreindre drastiquement l’accès des chercheurs, ingénieurs et mathématiciens étrangers, notamment indiens et chinois.

Les effets sont clairs :

  • ralentissement de l’innovation aux USA,

  • fragilisation de la compétitivité technologique,

  • risque de fuite des cerveaux vers l’Europe,le Canada, l’Inde ou la Chine.

Ce choix arbitraire a des conséquences comparables à celles subies par les investisseurs en Russie en 2022 : du jour au lendemain, des actifs stratégiques (ici le capital humain) deviennent inaccessibles. Comme pour les majors pétrolières en Libye ou en Irak, l’incapacité à sécuriser durablement les ressources clés conduit à une destruction de valeur.

Chapitre 4 – L’aveuglement de Wall Street

Pourquoi, malgré ces signaux, les marchés américains continuent-ils de croître sous Trump ?

  • Court-termisme : les bénéfices immédiats (baisses d’impôts, dérégulation) masquent les risques.

  • Fascination pour le leader fort : l’autorité donne une illusion de stabilité.

  • Négation volontaire : intégrer le risque autocratie obligerait à revoir la valorisation des actifs américains.

Pourtant, les exemples de l’Irak, de la Libye et de la Russie sont sans appel : ignorer la fragilité institutionnelle mène toujours à des pertes colossales. Les États-Unis ne sont pas immunisés. Avec Trump, le risque d'autocratie est désormais au cœur même du système financier mondial.

Conclusion – Un risque pour le XXIᵉ siècle

Le risque autocratique n’est pas une abstraction théorique. C’est une réalité qui a déjà coûté des dizaines de milliards aux entreprises ayant investi en Irak, en Libye ou en Russie. À chaque fois, le scénario fut identique : des profits séduisants à court terme, suivis d’une perte brutale et souvent définitive des actifs lorsque le régime autoritaire s’est effondré ou est entré en conflit ouvert avec le reste du monde.

L’élection de Donald Trump à la tête des États-Unis transpose désormais ce risque au cœur même de la première puissance économique mondiale

Décisions unilatérales, tarifs douaniers universels, fermeture migratoire, attaques contre les institutions : tous les ingrédients d’une gouvernance autocratique sont réunis. 

À court terme, Wall Street applaudit encore, aveuglé par les baisses d’impôts et la dérégulation. Mais l’histoire enseigne que ce type de calcul est illusoire.

Si les États-Unis continuent sur cette trajectoire, les conséquences dépasseront largement leurs frontières :

  • hausse de la prime de risque pays,

  • fragilisation du dollar comme monnaie de réserve,

  • perte de leadership dans l’innovation technologique,

  • instabilité accrue des marchés financiers mondiaux.

L’enseignement est clair : les marchés doivent intégrer le risque autocratie dans leurs modèles de gestion. Ignorer ce facteur, c’est répéter les erreurs du passé, mais à une échelle infiniment plus dangereuse puisque l’économie concernée n’est plus périphérique – elle est centrale.

L’illusion du court terme ne doit pas masquer la réalité de long terme : l’autocratie, même aux États-Unis, représente un risque systémique pour la finance mondiale du XXIᵉ siècle.

Voici ce que j’ai pu recueillir à propos des rapports du V-Dem Institute sur les conséquences de l’autocratie (ou de l’autocratization), ainsi que les points saillants à connaître.

Ce que dit V-Dem : "autocratization" et conséquences

Principales tendances et effets mis en évidence

Voici ce que montrent les données / analyses de V-Dem sur ce qui se passe quand un régime s’autocratise, ou quand une démocratie régresse, ainsi que les conséquences souvent observées :

📍 Élément affecté

🔍 Ce que montrent les rapports

Libertés fondamentales

La liberté d’expression, les médias indépendants, la liberté d’association, la société civile sont parmi les premiers domaines à se détériorer. (V-Dem)

Contre-pouvoirs (checks and balances)

Les institutions censées limiter le pouvoir (par exemple : juges indépendants, parlements, magistrature, etc.) perdent de leur efficacité. L’exécutif gagne en pouvoir sans responsabilité équivalente. (V-Dem)

Qualité des élections

Même s’il peut y avoir des élections formelles, leur qualité baisse : moins libres, moins équitables, avec des fraudes, des restrictions sur les candidatures, etc. (V-Dem)

Polarisation, désinformation

Montée du discours polarisé, de la désinformation, des discours contre les opposants, etc. Cela affaiblit la délibération démocratique (capacités de discussion publique, tolérance de l’opposition). (V-Dem)

Droits individuels, libertés civiques

Régressions dans les droits civils, souvent les droits des minorités ou des groupes vulnérables, libertés de la presse, etc. (V-Dem)

Effets sur la gouvernance

Moins de transparence, corruption possible, prise de décision plus arbitraire, moins de responsabilité publique. (V-Dem)

Population touchée

Une part de plus en plus grande de la population mondiale vit sous des régimes autocratiques ou des régimes en transition vers l’autocratie. (V-Dem)

Déclin des démocraties libérales

Les démocraties les plus « fortes » (libérales) sont de plus en plus rares. Certains pays qui avaient auparavant des institutions solides montrent des signes de recul. (V-Dem)


 Limites / nuances

  • Tous les régimes autocratiques ne sont pas identiques : V-Dem distingue entre autocratie fermée, autocratie électorale, etc. Les manifestations de l’autocratization diffèrent selon le type. (V-Dem)

  • Certaines détériorations peuvent être graduelles ou imperceptibles à court terme — législation limitant la presse, court-circuitage discret des régulateurs, etc. Ce ne sont pas toujours des changements spectaculaires. (V-Dem)

  • Parfois il y a des U-Turns ou des retours en arrière (democratization après une phase d’autocratization), bien que ce soit moins fréquent. (V-Dem)


On voit clairement que les USA(rouge) connaissent un recul progressif de leur indice de démocratie libérale depuis les années 2010, tandis que l’Allemagne(bleu) et surtout la Suède(vert) restent stables à un niveau élevé.

Quelques rapports récents

  • Democracy Report 2025: 25 Years of Autocratization – Democracy Trumped? — V-Dem, 2025. (V-Dem)

  • Autocratization Changing Nature? — V-Dem, 2022. (V-Dem)

  • Defiance in the Face of Autocratization — V-Dem, 2023. (V-Dem)



Conception et écriture: kapayoalimasi@gmail.com, dans la ville de Mainz en Allemagne, ce dimanche 21.09.2025



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