La chine teste l'un des instruments de sa puissance économique sous l'incompréhension du prof. Krugman

La Chine fait tourner le monde en bourrique
25.06.10 - 15:28

Le weekend dernier, la Chine a annoncé un changement de sa politique monétaire, une action clairement destinée à relâcher la pression des États-Unis et d'autres pays au sommet du G20 ce weekend.

Malheureusement, cette nouvelle politique n'aborde pas le réel problème, qui est que la Chine a privilégié ses exportations aux dépens du reste du monde.

En fait, loin de représenter un pas dans la bonne direction, l'annonce chinoise fut un exercice de mauvaise foi - une tentative d'exploiter le contrôle américain.

Pour ne pas alimenter la fièvre rhétorique, le gouvernement Obama utilise un langage diplomatique pour tenter de convaincre le gouvernement chinois d'adopter une attitude plus raisonnable. Les Chinois répondent maintenant en utilisant la forme du langage américain, pour éviter d'avoir à aborder le fond des plaintes américaines. Bref, ils s'amusent.
Pour comprendre ce qui se passe, il nous faut revenir aux origines de la situation. La politique du taux de change de la Chine n'est ni compliquée ni sans précédent, sauf pour ce qui est de son ampleur. C'est l'exemple classique d'un gouvernement maintenant la valeur de sa monnaie artificiellement basse en vendant sa propre monnaie et en achetant des devises étrangères. Cette politique est particulièrement efficace dans le cas de la Chine parce qu'il existe des restrictions légales aux mouvements de fonds à la fois vers et hors du pays, permettant à l'intervention du gouvernement de dominer le marché monétaire.

Et la preuve que la Chine maintient, de fait, la valeur de sa monnaie le Renminbi artificiellement basse, est justement le fait que la banque centrale accumule autant de dollars, d'euros et d'autres actifs étrangers - d'une valeur actuelle de plus de 2000 milliards de dollars. Des tas de calculs sont censés montrer que le renminbi n'est en fait pas vraiment sous-évalué, ou alors pas de beaucoup. Mais si le renminbi n'est pas profondément sous-évalué, pourquoi la Chine a-t-elle du acheter près d'un milliard de dollars de devises étrangères par jour pour éviter qu'il ne grimpe ?

L'effet de cette sous-évaluation monétaire est double : elle rend les biens chinois artificiellement bon marché pour les étrangers, tout en rendant les biens étrangers artificiellement chers. C'est-à-dire, c'est comme si la Chine subventionnait ses exportations tout en plaçant un tarif protectionniste sur ses importations.

Cette politique est très dommageable à une époque où une grande partie de l'économie mondiale reste profondément déprimée. En temps normal, on pourrait dire que les achats chinois d'obligations américaines, s'ils déstabilisent le marché, nous fournissent au moins en crédits bon marché - et on pourrait dire que ce n'est pas la faute de la Chine si nous avons utilisé ces crédits pour faire gonfler une énorme bulle immobilière destructrice. Mais en ce moment nous croulons sous le crédit bon marché ; ce qui nous manque, c'est une demande suffisante de biens et de services pour générer les emplois dont nous avons besoin. Et la Chine, en entretenant un excédent commercial artificiel, aggrave ce problème.

Cela ne veut d'ailleurs pas dire que la Chine tire des bénéfices de sa politique monétaire actuelle. Le renminbi sous-évalué est bon pour des entreprises d'exportation politiquement influentes. Mais ces entreprises amassent des liquidités au lieu d'en faire profiter leurs employés, d'où la récente vague de grèves. Dans le même temps, un renminbi faible crée des pressions inflationnistes et détourne une grosse fraction du revenu national vers l'achat d'actifs étrangers avec un taux de retour très faible.

Alors que penser de l'annonce politique de la semaine dernière ? Eh bien, la Chine a permis au renminbi de grimper - mais à peine. Jeudi, la monnaie n'était que d'un demi pour cent plus forte que son niveau habituel. Et tout indique que l'observation du mouvement futur du renminbi risque de demander beaucoup de patience : les officiels chinois continuent de nier qu'une revalorisation de leur monnaie ferait quoi que ce soit pour réduire les déséquilibres commerciaux, et les prix du marché à terme, dans lequel les traders acceptent d'échanger des devises à diverses échéances ultérieures, suggèrent une augmentation d'à peine 2 pour cent du renminbi d'ici la fin de l'année. C'est tout simplement une plaisanterie.

Ce que les Chinois ont fait, affirment-ils, pour augmenter la « flexibilité » de leur taux de change, c'est agir plus au jour le jour que par le passé, parfois à la hausse, parfois à la baisse.

Évidemment, les décideurs politiques chinois savent très bien que même si les officiels américains ont en effet appelé à davantage de flexibilité monétaire, il s'agissait juste là d'un euphémisme diplomatique pour décrire ce que l'Amérique, et le monde avec elle, souhaite : un renminbi plus fort. Que la monnaie fluctue légèrement à la hausse ou à la baisse ne change rien aux bases.
Alors, et après ? Le gouvernement chinois essaie manifestement de nous balader, repoussant l'action jusqu'à ce que quelque chose - difficile de dire quoi - se présente.
C'est inacceptable. La Chine doit cesser de nous faire tourner en bourrique et proposer un vrai changement. Et si elle refuse, il est temps de parler de sanctions commerciales.

Paul Krugman
© 2010 The New York Times News Service

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