La France et le Ruanda se réconcilient en rétablissant les relations diplomatiques.
Le monde online du 29.11.2009
En annonçant, dimanche 29 novembre, le rétablissement des relations diplomatiques avec le Rwanda, la présidence française peut considérer que la diplomatie de réconciliation mise en avant par le président Sarkozy porte ses fruits sur un dossier sensible, celui du pays des Mille Collines, avec, en toile de fond, un sérieux contentieux judiciaire et politique entre les deux pays.
Paris s'abstient toutefois de préciser le prix à payer pour arriver à ce résultat. "Aucune concession n'a été faite", a assuré à l'AFP le ministre français des affaires étrangères, Bernard Kouchner, qui a travaillé personnellement depuis deux ans à la résolution du différend entre les deux pays.
Tendues depuis l'arrivée au pouvoir de Paul Kagamé (juillet 1994), les relations diplomatiques étaient devenues détestables depuis que des mandats d'arrêt contre neuf responsables rwandais, dont le président Kagamé, avaient été lancés en novembre 2006 à Paris, conduisant à leur rupture.
Ces mandats étaient la conséquence de l'enquête de l'ex-juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière sur les circonstances de l'attentat commis dans la nuit du 6 au 7 avril 1994 contre l'avion de l'ancien président Juvénal Habyarimana, dont la mort avait été le point de départ du génocide.
DÉCISIONS JUDICIAIRES
Paris, dans les années 1990, soutenait le pouvoir hutu du président Habyarimana et l'appuyait dans sa guerre contre la rébellion tutsie, dirigée alors par Paul Kagamé. La victoire des rebelles, dans le Rwanda dévasté par le génocide (800 000 morts), avait signifié le début de tensions entre les deux gouvernements.
Pour tenter de clore cette période, Claude Guéant, secrétaire général de l'Elysée, s'est rendu à Kigali quelques heures dimanche. Au terme d'un entretien avec Paul Kagamé, celui-ci a proposé de rétablir les relations diplomatiques en mettant en avant, selon une bonne source, "le changement d'attitude de la France".
Selon la même source, Paul Kagamé a aussi exprimé le souhait de "tourner la page et de reprendre des relations sur des bases nouvelles". Quatre noms d'ambassadeurs ont été soumis.
La décision d'organiser le voyage de Claude Guéant avait été prise une semaine plus tôt, coïncidant avec une série d'avancées judiciaires. Deux juges françaises, Fabienne Pous et Michèle Ganascia, avaient passé, à la mi-novembre, une semaine au Rwanda pour travailler sur le cas des Rwandais réfugiés en France suspectés d'implication dans le génocide.
Quelques semaines plus tôt, le Conseil d'Etat avait définitivement mis fin à la procédure engagée par la veuve de l'ex-président rwandais, Agathe Habyarimana, pour bénéficier du statut de réfugiée en France.
Une dizaine de plaintes ont été déposées en France par un collectif de parties civiles contre des responsables rwandais susceptibles d'avoir été liés au génocide.
Pendant des années, la justice française a semblé paralysée face à ces dossiers, accréditant l'idée que les ex-dignitaires du pouvoir hutu et les "génocidaires" bénéficiaient de protection en France.
Sur ce point, les changements récents sont capitaux. Fin octobre, un pôle de juges a été créé à Evry pour travailler sur les dossiers liés aux génocides, permettant de rassembler les dossiers des Rwandais résidant en France.
POURSUITES NEUTRALISÉES
Enfin, sur la base d'une stratégie élaborée conjointement entre la France et le Rwanda, les poursuites initiées dans le cadre de l'enquête du juge Bruguière sont à peu près neutralisées. Telle était la principale condition posée par le Rwanda pour "tourner la page".
L'arrestation, en 2008, de Rose Kabuyé, proche du président Kagamé, a permis au Rwanda d'avoir accès au dossier et d'en exploiter certaines faiblesses. Les rétractations de trois témoins-clés contraignent le juge Trividic, désormais en charge du dossier, à de nouvelles investigations, repoussant les conclusions de quelques années peut-être.
En échange, les autorités françaises devraient voir les contre-procédures judiciaires rwandaises diminuer d'intensité. Les conclusions de l'enquête rwandaise sur l'attentat contre l'avion de Juvénal Habyarimana devraient être rendues publiques en décembre, mais, selon une source bien informée, dans une version "constructive". Attaquant le dossier Bruguière, elle ne mettrait en cause l'armée française que "de façon non polémique".
Le Rwanda avait diligenté une autre enquête sur le rôle de la France dans l'appui aux responsables rwandais, civils et militaires, avant et pendant le génocide. Les conclusions de cette enquête, rendues publiques en août 2008, impliquaient treize dirigeants français, depuis François Mitterrand jusqu'à Dominique de Villepin – alors chef de cabinet du ministre des affaires étrangères –, en passant par Alain Juppé, pendant la période du génocide (avril-juillet 1994).
Le texte accusait aussi des responsables de complicité avec les tueurs dans l'exécution des massacres. Si ces accusations d'une gravité extrême devaient être abandonnées, force serait de considérer qu'elles avaient été lancées pour des raisons politiques. Les responsables incriminés seraient donc en droit d'espérer des clarifications publiques à ce sujet.
Jean-Philippe Rémy (Johannesburg, correspondant régional) et Philippe Bernard (à Paris)
En annonçant, dimanche 29 novembre, le rétablissement des relations diplomatiques avec le Rwanda, la présidence française peut considérer que la diplomatie de réconciliation mise en avant par le président Sarkozy porte ses fruits sur un dossier sensible, celui du pays des Mille Collines, avec, en toile de fond, un sérieux contentieux judiciaire et politique entre les deux pays.
Paris s'abstient toutefois de préciser le prix à payer pour arriver à ce résultat. "Aucune concession n'a été faite", a assuré à l'AFP le ministre français des affaires étrangères, Bernard Kouchner, qui a travaillé personnellement depuis deux ans à la résolution du différend entre les deux pays.
Tendues depuis l'arrivée au pouvoir de Paul Kagamé (juillet 1994), les relations diplomatiques étaient devenues détestables depuis que des mandats d'arrêt contre neuf responsables rwandais, dont le président Kagamé, avaient été lancés en novembre 2006 à Paris, conduisant à leur rupture.
Ces mandats étaient la conséquence de l'enquête de l'ex-juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière sur les circonstances de l'attentat commis dans la nuit du 6 au 7 avril 1994 contre l'avion de l'ancien président Juvénal Habyarimana, dont la mort avait été le point de départ du génocide.
DÉCISIONS JUDICIAIRES
Paris, dans les années 1990, soutenait le pouvoir hutu du président Habyarimana et l'appuyait dans sa guerre contre la rébellion tutsie, dirigée alors par Paul Kagamé. La victoire des rebelles, dans le Rwanda dévasté par le génocide (800 000 morts), avait signifié le début de tensions entre les deux gouvernements.
Pour tenter de clore cette période, Claude Guéant, secrétaire général de l'Elysée, s'est rendu à Kigali quelques heures dimanche. Au terme d'un entretien avec Paul Kagamé, celui-ci a proposé de rétablir les relations diplomatiques en mettant en avant, selon une bonne source, "le changement d'attitude de la France".
Selon la même source, Paul Kagamé a aussi exprimé le souhait de "tourner la page et de reprendre des relations sur des bases nouvelles". Quatre noms d'ambassadeurs ont été soumis.
La décision d'organiser le voyage de Claude Guéant avait été prise une semaine plus tôt, coïncidant avec une série d'avancées judiciaires. Deux juges françaises, Fabienne Pous et Michèle Ganascia, avaient passé, à la mi-novembre, une semaine au Rwanda pour travailler sur le cas des Rwandais réfugiés en France suspectés d'implication dans le génocide.
Quelques semaines plus tôt, le Conseil d'Etat avait définitivement mis fin à la procédure engagée par la veuve de l'ex-président rwandais, Agathe Habyarimana, pour bénéficier du statut de réfugiée en France.
Une dizaine de plaintes ont été déposées en France par un collectif de parties civiles contre des responsables rwandais susceptibles d'avoir été liés au génocide.
Pendant des années, la justice française a semblé paralysée face à ces dossiers, accréditant l'idée que les ex-dignitaires du pouvoir hutu et les "génocidaires" bénéficiaient de protection en France.
Sur ce point, les changements récents sont capitaux. Fin octobre, un pôle de juges a été créé à Evry pour travailler sur les dossiers liés aux génocides, permettant de rassembler les dossiers des Rwandais résidant en France.
POURSUITES NEUTRALISÉES
Enfin, sur la base d'une stratégie élaborée conjointement entre la France et le Rwanda, les poursuites initiées dans le cadre de l'enquête du juge Bruguière sont à peu près neutralisées. Telle était la principale condition posée par le Rwanda pour "tourner la page".
L'arrestation, en 2008, de Rose Kabuyé, proche du président Kagamé, a permis au Rwanda d'avoir accès au dossier et d'en exploiter certaines faiblesses. Les rétractations de trois témoins-clés contraignent le juge Trividic, désormais en charge du dossier, à de nouvelles investigations, repoussant les conclusions de quelques années peut-être.
En échange, les autorités françaises devraient voir les contre-procédures judiciaires rwandaises diminuer d'intensité. Les conclusions de l'enquête rwandaise sur l'attentat contre l'avion de Juvénal Habyarimana devraient être rendues publiques en décembre, mais, selon une source bien informée, dans une version "constructive". Attaquant le dossier Bruguière, elle ne mettrait en cause l'armée française que "de façon non polémique".
Le Rwanda avait diligenté une autre enquête sur le rôle de la France dans l'appui aux responsables rwandais, civils et militaires, avant et pendant le génocide. Les conclusions de cette enquête, rendues publiques en août 2008, impliquaient treize dirigeants français, depuis François Mitterrand jusqu'à Dominique de Villepin – alors chef de cabinet du ministre des affaires étrangères –, en passant par Alain Juppé, pendant la période du génocide (avril-juillet 1994).
Le texte accusait aussi des responsables de complicité avec les tueurs dans l'exécution des massacres. Si ces accusations d'une gravité extrême devaient être abandonnées, force serait de considérer qu'elles avaient été lancées pour des raisons politiques. Les responsables incriminés seraient donc en droit d'espérer des clarifications publiques à ce sujet.
Jean-Philippe Rémy (Johannesburg, correspondant régional) et Philippe Bernard (à Paris)
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