Comment le fonds spéculatif TCI impose sa stratégie aux grands groupes
Journal"LE MONDE" du 22.03.07 14h49 •
En deux ans, le fonds spéculatif britannique TCI (The Children's Investment Management Fund) sera parvenu à infléchir la stratégie de deux grandes entreprises cotées en Bourse : la Deutsche Börse en 2005, contrariée dans son projet de fusion avec la Bourse londonienne, et ABN Amro aujourd'hui, poussée dans les bras de sa consoeur britannique Barclays.
Ces faits d'armes pourraient avoir de quoi surprendre puisque TCI parvient à ses fins en ne possédant à chaque fois qu'une part très faible du capital des sociétés visées : 1 % dans le cas d'ABN Amro. Ils découlent, en fait, d'une stratégie finement travaillée, où rien n'a été laissé au hasard, et qui donc, a toutes chances de faire mouche...
Cela commence par le repérage d'une société sous-valorisée en Bourse, présentant des problèmes de gouvernance et dont le capital est éclaté entre une multitude d'actionnaires, donc opéable. Deux caractéristiques qui font qu'il y sera facile de faire des profits et de fédérer une fronde d'actionnaires. Cela se poursuit ensuite par l'interpellation directe du management, sommé de réagir sous peine d'une baisse brutale de son cours de Bourse.
Déstabilisantes pour les entreprises, contraintes d'accélérer ou d'enclencher sans délai des restructurations ou des fusions que leurs conseils d'administration auraient mises plusieurs mois à élaborer, ce type d'interventions fait désormais partie de la vie des marchés financiers. Il illustre le changement qui s'est opéré depuis quelques années dans le capitalisme européen, avec l'émergence d'actionnaires interventionnistes, voire activistes dans le cas de fonds spéculatifs (hedge funds) comme TCI.
"Ce sont de bons analystes, dont les stratégies alternatives sont davantage écoutées par les conseils d'administration", juge Gérard Augustin-Normand, patron de la société de gestion Richelieu finance. Chez ABN Amro, TCI aurait identifié les mesures permettant d'augmenter rapidement la valeur de l'entreprise.
Et, de fait, trois ans après sa création par Chris Hohn, financier de 40 ans, diplômé de la Harvard Business School et fils d'un mécanicien jamaïcain immigré au Royaume-Uni dans les années 1960, TCI s'est hissé parmi les dix premiers fonds spéculatifs européens, avec une rentabilité estimée à près de 40 %. "Ils se comportent en catalyseurs, pour accélérer des processus souvent nécessaires", analyse Alain Bokobza, responsable de la stratégie des marchés à la Société générale.
"CE SONT DES CHASSEURS"
La stratégie des fonds spéculatifs suscite néanmoins des questions sinon des réserves. "L'actionnaire doit-il se substituer au management ?", s'interroge Fabrice de Marigny, secrétaire général du Comité des régulateurs boursiers européens (CESR). Surtout, leur visée à court terme peut s'avérer "dommageable à l'avenir de l'entreprise", souligne Olivier De Guerre, PDG du fonds PhiTrust, qui revendique une stratégie à plus long terme. "L'intérêt de TCI n'est pas forcément celui de tous les actionnaires", ajoute-t-il.
Version moderne des raiders des années 1980, ces fonds répondent, de fait, à une logique plus spéculative qu'industrielle. "Ce sont des chasseurs, qui mènent une recherche approfondie sur leurs proies. Mais une fois qu'ils ont tiré un coup en l'air pour faire bouger le gibier, ils se désintéressent de l'avenir de la société", constate Emmanuel du Boullay, administrateur de sociétés et conseil en gouvernance. "Ils ne sont pas là pour accompagner le management dans sa nouvelle stratégie mais pour s'enrichir rapidement, et c'est là que leur action atteint ses limites", estime-t-il.
Enfin, l'opacité de ces fonds, souvent domiciliés dans les paradis fiscaux, à l'instar de TCI enregistré aux Iles Caïmans, explique leur mauvaise réputation. Et ce, même si, comme TCI, ils sont de plus en plus nombreux à verser une part de leurs revenus à des oeuvres caritatives. Grâce à la montée de l'action d'ABN Amro ces derniers jours, TCI a déjà engrangé un gain potentiel de 100 millions d'euros.
Claire Gatinois et Anne Michel
En deux ans, le fonds spéculatif britannique TCI (The Children's Investment Management Fund) sera parvenu à infléchir la stratégie de deux grandes entreprises cotées en Bourse : la Deutsche Börse en 2005, contrariée dans son projet de fusion avec la Bourse londonienne, et ABN Amro aujourd'hui, poussée dans les bras de sa consoeur britannique Barclays.
Ces faits d'armes pourraient avoir de quoi surprendre puisque TCI parvient à ses fins en ne possédant à chaque fois qu'une part très faible du capital des sociétés visées : 1 % dans le cas d'ABN Amro. Ils découlent, en fait, d'une stratégie finement travaillée, où rien n'a été laissé au hasard, et qui donc, a toutes chances de faire mouche...
Cela commence par le repérage d'une société sous-valorisée en Bourse, présentant des problèmes de gouvernance et dont le capital est éclaté entre une multitude d'actionnaires, donc opéable. Deux caractéristiques qui font qu'il y sera facile de faire des profits et de fédérer une fronde d'actionnaires. Cela se poursuit ensuite par l'interpellation directe du management, sommé de réagir sous peine d'une baisse brutale de son cours de Bourse.
Déstabilisantes pour les entreprises, contraintes d'accélérer ou d'enclencher sans délai des restructurations ou des fusions que leurs conseils d'administration auraient mises plusieurs mois à élaborer, ce type d'interventions fait désormais partie de la vie des marchés financiers. Il illustre le changement qui s'est opéré depuis quelques années dans le capitalisme européen, avec l'émergence d'actionnaires interventionnistes, voire activistes dans le cas de fonds spéculatifs (hedge funds) comme TCI.
"Ce sont de bons analystes, dont les stratégies alternatives sont davantage écoutées par les conseils d'administration", juge Gérard Augustin-Normand, patron de la société de gestion Richelieu finance. Chez ABN Amro, TCI aurait identifié les mesures permettant d'augmenter rapidement la valeur de l'entreprise.
Et, de fait, trois ans après sa création par Chris Hohn, financier de 40 ans, diplômé de la Harvard Business School et fils d'un mécanicien jamaïcain immigré au Royaume-Uni dans les années 1960, TCI s'est hissé parmi les dix premiers fonds spéculatifs européens, avec une rentabilité estimée à près de 40 %. "Ils se comportent en catalyseurs, pour accélérer des processus souvent nécessaires", analyse Alain Bokobza, responsable de la stratégie des marchés à la Société générale.
"CE SONT DES CHASSEURS"
La stratégie des fonds spéculatifs suscite néanmoins des questions sinon des réserves. "L'actionnaire doit-il se substituer au management ?", s'interroge Fabrice de Marigny, secrétaire général du Comité des régulateurs boursiers européens (CESR). Surtout, leur visée à court terme peut s'avérer "dommageable à l'avenir de l'entreprise", souligne Olivier De Guerre, PDG du fonds PhiTrust, qui revendique une stratégie à plus long terme. "L'intérêt de TCI n'est pas forcément celui de tous les actionnaires", ajoute-t-il.
Version moderne des raiders des années 1980, ces fonds répondent, de fait, à une logique plus spéculative qu'industrielle. "Ce sont des chasseurs, qui mènent une recherche approfondie sur leurs proies. Mais une fois qu'ils ont tiré un coup en l'air pour faire bouger le gibier, ils se désintéressent de l'avenir de la société", constate Emmanuel du Boullay, administrateur de sociétés et conseil en gouvernance. "Ils ne sont pas là pour accompagner le management dans sa nouvelle stratégie mais pour s'enrichir rapidement, et c'est là que leur action atteint ses limites", estime-t-il.
Enfin, l'opacité de ces fonds, souvent domiciliés dans les paradis fiscaux, à l'instar de TCI enregistré aux Iles Caïmans, explique leur mauvaise réputation. Et ce, même si, comme TCI, ils sont de plus en plus nombreux à verser une part de leurs revenus à des oeuvres caritatives. Grâce à la montée de l'action d'ABN Amro ces derniers jours, TCI a déjà engrangé un gain potentiel de 100 millions d'euros.
Claire Gatinois et Anne Michel
Commentaires