La conférence sur la paix hypothéquée par la défaite militaire humiliante
L’armée congolaise rongée par le soupçon
COLETTE BRAECKMAN jeudi 27 décembre 2007, 20:33
UN LOURD BILAN, humain et matériel. Après la débâcle du Kivu, l’état-major est sur la sellette. Premières sanctions.
La conférence de paix sur le Kivu, dont l’ouverture officielle a été reportée au 6 janvier, risque fort d’être éclipsée par le malaise qui règne au sein des FARDC, les Forces armées congolaises, à la suite de l’humiliante défaite subie à Mushake.
Rappelons que depuis début septembre, le président Joseph Kabila avait choisi l’option militaire pour réduire la rébellion du général Laurent Nkunda, qui avait pris les armes pour défendre les Tutsis congolais qu’il assurait être menacés. Désireux de rétablir l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire et de mettre en œuvre ses prérogatives constitutionnelles, le président Kabila était alors largement soutenu par son opinion publique, en particulier au Kivu, où il avait été élu à plus de 90 % sur sa promesse de rétablir la paix.
Cette initiative militaire était cependant désavouée par les Occidentaux : prônant une solution politique qui aurait répondu en partie aux exigences de Nkunda, ils avançaient les risques sur le plan humanitaire et mettaient en doute la probabilité d’une victoire. En septembre, afin de conjurer le président de stopper une offensive qui avait enregistré de premiers succès, les ambassadeurs occidentaux et le représentant de l’ONU, William Swing, se déplacèrent même à Goma. En novembre, les mises en garde se succédèrent et la reprise des hostilités – dont le déclenchement fut attribué à Nkunda lui-même – fut marquée par un impressionnant déploiement militaire congolais : plus de 20.000 hommes, payés et dotés de matériel neuf, encerclèrent alors les quelque 4000 rebelles de Nkunda.
Cependant, comme pour donner raison aux objurgations diplomatiques, les premiers succès furent rapidement enrayés : d’après des observateurs militaires, l’armée congolaise s’avéra en effet incapable de consolider des positions conquises trop rapidement, elle n’obtint pas le soutien de la Monuc – la Mission de l’ONU sur place – sur lequel elle comptait pour assurer ses arrières – les hélicoptères indiens refusèrent de prendre l’air et de fournir des compléments de munitions. Les Casques bleus se contentèrent finalement d’empêcher la chute de Sake et de Goma.
Mais surtout, il se confirme aujourd’hui que les Fardc furent victimes de trahison au plus haut niveau : à Mushake, où avait été dépêché le commandant en chef des forces terrestres, le général Gabriel Amisi dit « Tango Fort », des ordres contradictoires furent donnés, qui entraînèrent le repli des meilleurs éléments. On devait comprendre plus tard que les commandants de la plupart des brigades censées assiéger Nkunda étaient des officiers qui, comme Amisi, avaient naguère combattu à ses côtés dans les rangs de la rébellion et avaient été brassés ensuite, mais sans réellement rompre avec leur ancien compagnon d’armes !
Une Cour militaire qui vient d’être instituée au Nord-Kivu devrait pouvoir circonscrire ces trahisons mais déjà le général Amisi a regagné Kinshasa en état d’arrestation et a été placé en résidence surveillée en attendant le résultat des enquêtes.
Un autre officier de haut rang, le général katangais John Numbi, actuellement en charge de la police de Kinshasa, serait « en disgrâce ». Ces mesures suffiront-elles toutefois à apaiser la grogne au sein de l’armée ? Le bilan des pertes, qui commence à être connu, est en effet catastrophique. Sur les six mille éléments des FARDC engagés dans la bataille de Mushake, la moitié a été mise hors de combat : 2.600 militaires ont été tués dont 2.000 policiers en tenue militaire et 600 éléments de la garde républicaine. S’y ajoutent 600 blessés pour lesquels une compagnie médicale a été dépêchée d’urgence à Goma.
En plus des pertes en vies humaines, un important matériel militaire a été saisi par les hommes de Nkunda, qui leur permettra de guerroyer pendant des années encore : 6 tonnes de munitions, y compris des munitions d’hélicoptères, 45 blindés, 20 lance-roquettes, 15.000 caisses de grenades, 6000 caisses d’armes type Fall. Le bilan fait même état de 15 missiles sol air, mais on se demande pourquoi de telles armes auraient été envoyées au Kivu contre un adversaire qui pratique la guérilla et ne dispose ni d’armement lourd ni de moyens aériens…
L’ampleur de la débâcle et la saisie par l’adversaire d’un lot important de matériel neuf fait penser à une autre catastrophe militaire qui, en son temps, avait marqué le début de la fin pour Laurent Désiré Kabila, assassiné quelques semaines plus tard : la bataille de Pweto au Katanga, en novembre 2000. Joseph Kabila et le général Numbi avaient alors dû fuir en hélicoptère…
Le poison du soupçon ronge actuellement la très fragile armée congolaise dont bon nombre d’officiers sont issus des anciens groupes rebelles, les Katangais et les anciens militaires mobutistes déplorent avoir subi le gros des pertes et sur le front, les désertions sont massives tandis que des remous agitent les camps militaires de Kinshasa…
Si la conférence de paix de Goma a été reportée, c’est peut-être aussi parce que la moindre concession accordée à Nkunda et aux siens alimenterait le soupçon de trahison au plus haut niveau et provoquerait des remous au sein d’une population humiliée par la défaite son armée et privée des dividendes de la démocratie.
COLETTE BRAECKMAN jeudi 27 décembre 2007, 20:33
UN LOURD BILAN, humain et matériel. Après la débâcle du Kivu, l’état-major est sur la sellette. Premières sanctions.
La conférence de paix sur le Kivu, dont l’ouverture officielle a été reportée au 6 janvier, risque fort d’être éclipsée par le malaise qui règne au sein des FARDC, les Forces armées congolaises, à la suite de l’humiliante défaite subie à Mushake.
Rappelons que depuis début septembre, le président Joseph Kabila avait choisi l’option militaire pour réduire la rébellion du général Laurent Nkunda, qui avait pris les armes pour défendre les Tutsis congolais qu’il assurait être menacés. Désireux de rétablir l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire et de mettre en œuvre ses prérogatives constitutionnelles, le président Kabila était alors largement soutenu par son opinion publique, en particulier au Kivu, où il avait été élu à plus de 90 % sur sa promesse de rétablir la paix.
Cette initiative militaire était cependant désavouée par les Occidentaux : prônant une solution politique qui aurait répondu en partie aux exigences de Nkunda, ils avançaient les risques sur le plan humanitaire et mettaient en doute la probabilité d’une victoire. En septembre, afin de conjurer le président de stopper une offensive qui avait enregistré de premiers succès, les ambassadeurs occidentaux et le représentant de l’ONU, William Swing, se déplacèrent même à Goma. En novembre, les mises en garde se succédèrent et la reprise des hostilités – dont le déclenchement fut attribué à Nkunda lui-même – fut marquée par un impressionnant déploiement militaire congolais : plus de 20.000 hommes, payés et dotés de matériel neuf, encerclèrent alors les quelque 4000 rebelles de Nkunda.
Cependant, comme pour donner raison aux objurgations diplomatiques, les premiers succès furent rapidement enrayés : d’après des observateurs militaires, l’armée congolaise s’avéra en effet incapable de consolider des positions conquises trop rapidement, elle n’obtint pas le soutien de la Monuc – la Mission de l’ONU sur place – sur lequel elle comptait pour assurer ses arrières – les hélicoptères indiens refusèrent de prendre l’air et de fournir des compléments de munitions. Les Casques bleus se contentèrent finalement d’empêcher la chute de Sake et de Goma.
Mais surtout, il se confirme aujourd’hui que les Fardc furent victimes de trahison au plus haut niveau : à Mushake, où avait été dépêché le commandant en chef des forces terrestres, le général Gabriel Amisi dit « Tango Fort », des ordres contradictoires furent donnés, qui entraînèrent le repli des meilleurs éléments. On devait comprendre plus tard que les commandants de la plupart des brigades censées assiéger Nkunda étaient des officiers qui, comme Amisi, avaient naguère combattu à ses côtés dans les rangs de la rébellion et avaient été brassés ensuite, mais sans réellement rompre avec leur ancien compagnon d’armes !
Une Cour militaire qui vient d’être instituée au Nord-Kivu devrait pouvoir circonscrire ces trahisons mais déjà le général Amisi a regagné Kinshasa en état d’arrestation et a été placé en résidence surveillée en attendant le résultat des enquêtes.
Un autre officier de haut rang, le général katangais John Numbi, actuellement en charge de la police de Kinshasa, serait « en disgrâce ». Ces mesures suffiront-elles toutefois à apaiser la grogne au sein de l’armée ? Le bilan des pertes, qui commence à être connu, est en effet catastrophique. Sur les six mille éléments des FARDC engagés dans la bataille de Mushake, la moitié a été mise hors de combat : 2.600 militaires ont été tués dont 2.000 policiers en tenue militaire et 600 éléments de la garde républicaine. S’y ajoutent 600 blessés pour lesquels une compagnie médicale a été dépêchée d’urgence à Goma.
En plus des pertes en vies humaines, un important matériel militaire a été saisi par les hommes de Nkunda, qui leur permettra de guerroyer pendant des années encore : 6 tonnes de munitions, y compris des munitions d’hélicoptères, 45 blindés, 20 lance-roquettes, 15.000 caisses de grenades, 6000 caisses d’armes type Fall. Le bilan fait même état de 15 missiles sol air, mais on se demande pourquoi de telles armes auraient été envoyées au Kivu contre un adversaire qui pratique la guérilla et ne dispose ni d’armement lourd ni de moyens aériens…
L’ampleur de la débâcle et la saisie par l’adversaire d’un lot important de matériel neuf fait penser à une autre catastrophe militaire qui, en son temps, avait marqué le début de la fin pour Laurent Désiré Kabila, assassiné quelques semaines plus tard : la bataille de Pweto au Katanga, en novembre 2000. Joseph Kabila et le général Numbi avaient alors dû fuir en hélicoptère…
Le poison du soupçon ronge actuellement la très fragile armée congolaise dont bon nombre d’officiers sont issus des anciens groupes rebelles, les Katangais et les anciens militaires mobutistes déplorent avoir subi le gros des pertes et sur le front, les désertions sont massives tandis que des remous agitent les camps militaires de Kinshasa…
Si la conférence de paix de Goma a été reportée, c’est peut-être aussi parce que la moindre concession accordée à Nkunda et aux siens alimenterait le soupçon de trahison au plus haut niveau et provoquerait des remous au sein d’une population humiliée par la défaite son armée et privée des dividendes de la démocratie.
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