**La Théorie de la Valeur : Une Traversée Historique des Classiques aux Néoclassiques, et la Synthèse de Marshall*

 





**La Théorie de la Valeur : Une Traversée Historique des Classiques aux Néoclassiques, et la Synthèse de Marshall** par Guy Kapayo


**Introduction**


La notion de *valeur* est sans doute l’un des concepts les plus fondamentaux, mais aussi les plus disputés, de l’histoire de la pensée économique. Depuis les pionniers de l’économie politique classique jusqu’à la révolution marginaliste et la synthèse opérée par Alfred Marshall, la théorie de la valeur a connu des métamorphoses profondes, révélant autant les mutations de l’économie elle-même que les paradigmes scientifiques qui ont encadré sa théorisation.


Cet article propose une traversée intellectuelle de la théorie de la valeur selon trois grandes étapes : la conception des Classiques (Smith, Ricardo, Marx), celle des Néoclassiques (Menger, Jevons, Walras), et enfin la synthèse marshallienne, pivot intellectuel entre l’analyse de l’offre et celle de la demande. Cette lecture est à la fois une exégèse historique et une invitation à méditer sur les fondements méthodologiques de l’économie en tant que science sociale.


**Chapitre I : La Théorie de la Valeur chez les Classiques**


L’économie politique classique, dont les assises furent posées par **Adam Smith** au XVIIIe siècle, envisage la *valeur* principalement à travers le prisme du **travail**. Dans *La Richesse des Nations* (1776), Smith distingue entre la *valeur d’usage* (l’utilité) et la *valeur d’échange* (la capacité à être échangée contre d'autres biens). Il avance que dans un état primitif, la quantité de travail nécessaire à la production d’un bien constitue la mesure réelle de sa valeur d’échange.


Cette idée sera systématisée et approfondie par **David Ricardo** (1817), qui développe une **théorie de la valeur-travail objective**. Pour Ricardo, la valeur d’un bien est déterminée par la quantité de travail incorporé dans sa production, en tenant compte du capital fixe et variable engagé. Toutefois, cette théorie rencontre des difficultés à expliquer la répartition du revenu entre les différentes classes sociales.


**Karl Marx**, héritier critique de Ricardo, élargit la perspective dans *Le Capital* (1867), en introduisant le concept de **valeur-travail incorporée** et de **plus-value**. Pour Marx, la valeur d’un bien est le travail socialement nécessaire à sa production. La valeur devient alors un instrument de dénonciation des rapports d’exploitation inhérents au capitalisme, fondés sur l’extorsion de la plus-value par les capitalistes aux prolétaires.


Ainsi, chez les Classiques, la valeur est avant tout déterminée par des **facteurs objectifs** – le travail, les coûts de production, et les conditions technologiques – dans un cadre où l’offre est première.


**Chapitre II : La Révolution Marginaliste et la Vision Néoclassique de la Valeur**


Le dernier tiers du XIXe siècle voit naître une rupture paradigmatique avec la **révolution marginaliste**, qui donne naissance à l’**école néoclassique**. Les figures fondatrices – **Carl Menger** en Autriche, **William Stanley Jevons** en Angleterre, et **Léon Walras** en Suisse – rejettent l’explication objective de la valeur fondée sur le travail.


À leur place, ils proposent une théorie basée sur l’**utilité marginale** : la valeur d’un bien ne réside pas dans le coût de sa production, mais dans l’utilité subjective que lui accorde le consommateur au moment de la décision. Cette utilité n’est pas absolue, mais **marginale**, c’est-à-dire qu’elle dépend de la quantité déjà possédée du bien. Ainsi, plus un bien est rare relativement à son utilité, plus sa valeur sera élevée.


**Léon Walras**, dans ses *Éléments d’économie politique pure* (1874), pose les fondements d’une théorie de l’**équilibre général**, où les prix sont déterminés simultanément par l’interaction entre les préférences des consommateurs, les dotations initiales et les technologies de production. Ici, la valeur résulte d’un **jeu d’interdépendance entre offre et demande**, modélisé de façon mathématique.


La révolution marginaliste opère donc un renversement méthodologique majeur : la valeur est désormais **subjective**, déterminée à la marge, et dépendante des **choix individuels** dans un cadre d’échange généralisé.


**Chapitre III : Alfred Marshall et la Synthèse Néoclassique**


Face à cette dichotomie entre approche classique (offre) et approche marginaliste (demande), **Alfred Marshall** (1842–1924) propose une **synthèse élégante et durable**, fondement de ce que l’on appelle la **synthèse néoclassique**.


Dans *Principles of Economics* (1890), Marshall introduit la fameuse **métaphore des ciseaux** : le prix, et donc la valeur, est déterminé simultanément par les forces de l’**offre** et de la **demande**, tout comme les deux lames d’une paire de ciseaux coupent ensemble. L’offre est liée aux **coûts de production** (héritage classique), tandis que la demande est fonction de **l’utilité marginale** (héritage marginaliste).


Il introduit également une distinction temporelle fondamentale :


* **Le court terme** : où la demande est prépondérante, l’offre étant rigide.

* **Le long terme** : où l’offre devient plus souple, et les coûts de production jouent un rôle central.


Par cette approche, Marshall réconcilie les visions antagoniques et propose une **analyse de l’équilibre partiel**, centrée sur les marchés individuels. Il évite ainsi les abstractions excessives de l’équilibre général tout en conservant la rigueur analytique.


La **valeur**, dans cette optique, est le **résultat d’un équilibre dynamique** entre forces subjectives (préférences des consommateurs) et forces objectives (coûts et techniques de production).


**Conclusion Générale**


La théorie de la valeur, dans son évolution historique, reflète les tensions fondamentales entre l’objectivité économique et la subjectivité des choix. Des Classiques qui voient dans le travail la source réelle de toute valeur, aux Néoclassiques qui la rattachent à l’utilité marginale, en passant par la synthèse marshallienne qui tente de concilier les deux, le concept de valeur demeure au cœur de l’économie politique.


Cette histoire n’est pas seulement une question de théorie : elle est aussi une affaire de méthodologie, de philosophie sociale, et de politique. Car définir la valeur, c’est aussi définir les règles implicites de la justice économique, les mécanismes de la répartition, et les fondements de la richesse.


En enseignant cette histoire, nous ne transmettons pas seulement des concepts ; nous formons les esprits à penser économiquement, c’est-à-dire à questionner les fondements mêmes des prix, des échanges, et du travail dans nos sociétés contemporaines.




Écriture: Ce vendredi 01. 08.2025 par Guy Kapayo dans la ville de Mainz en Allemagne.





Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Liberation Day ou Isolation Day ? Le tournant du monde après Trump »

Au-delà des modèles : l’économie à l’épreuve des crises par Guy Kapyo.

La Résilience : de l’africain, de l’asiatique et de l’occidental par Guy Kapayo