Chine et États-Unis : qui a vraiment propulsé l’autre au sommet ?par Guy Kapayo
Chine et États-Unis : qui a vraiment propulsé l’autre au sommet ?
Chapitre 1 – La Chine avant l’OMC : un géant en sommeil
À la fin des années 1980, la Chine est encore une puissance économique en devenir. Les réformes lancées par Deng Xiaoping depuis 1978 ont ouvert le pays à l’investissement étranger et créé des zones économiques spéciales, mais l’économie reste largement dépendante de technologies et de marchés extérieurs.
Son appareil industriel est surtout orienté vers les biens à faible valeur ajoutée, et ses exportations sont limitées par de fortes barrières douanières aux États-Unis et en Europe. La Chine accumule alors peu de devises et ne dispose pas encore d’un excédent commercial structurel. Sa montée en puissance reste hypothétique, et elle n’est pas encore perçue comme une rivale systémique.
Chapitre 2 – 2001 : l’entrée de la Chine à l’OMC
L’adhésion de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en décembre 2001 marque un tournant historique.
Du point de vue de Washington, cette intégration répond à plusieurs objectifs :
* **Économique** : ouvrir le marché chinois aux multinationales américaines, notamment dans l’agroalimentaire, l’automobile et les services.
* **Géopolitique** : « ancrer » la Chine dans l’ordre économique international dominé par les États-Unis, espérant que l’intégration mènerait à une libéralisation politique.
Cependant, cette décision a un effet inattendu (ou mal évalué) : elle provoque une explosion des exportations chinoises vers les États-Unis, élargit le déficit commercial américain et accélère la désindustrialisation de plusieurs régions américaines. En quelques années, la Chine devient « l’usine du monde » et un acteur central du commerce international.
Chapitre 3 – Les États-Unis avant l’abrogation du Glass-Steagall Act
Au début des années 1990, le système bancaire américain est fragmenté et relativement domestique. Les grandes banques sont cantonnées à leur État ou leur région, et la loi Glass-Steagall (1933) interdit la fusion entre banques commerciales et banques d’investissement.
Les marchés de capitaux sophistiqués (fonds spéculatifs, capital-investissement, gestion d’actifs à grande échelle) restent marginaux. Les États-Unis dominent la finance mondiale par la puissance du dollar, mais pas encore par l’ampleur de leurs institutions financières privées (Black-Rock et Vanguard par exemple )
Chapitre 4 – 1999 : l’abrogation du Glass-Steagall Act et l’ère des géants financiers
L’administration Clinton, avec la loi Gramm-Leach-Bliley de 1999, met fin aux restrictions imposées par le Glass-Steagall Act. Ce changement ouvre la voie à la fusion des banques commerciales, d’investissement et compagnies d’assurances.C’est Wall Street (Marché financier américain ) qui sort de sa cage pour dominer la planète entière .
Les conséquences sont spectaculaires :
* Naissance de mastodontes bancaires comme **Citigroup**, **Bank of America**, **Wells Fargo**, **Goldman Sachs**.
* Montée en puissance d’acteurs financiers mondiaux comme **BlackRock (plus de 10.000 Milliards de dollars d'actifs sous gestion)** et **Vanguard**, capables de gérer des milliers de milliards de dollars. cliquer ici sur Arte
* Explosion du capital-risque et des fonds spéculatifs notamment dans la Silicon Valley.
Chapitre 5 – L’interdépendance sino-américaine : un échange de besoins
C’est dans ce contexte qu’émerge une relation économique singulière entre Pékin et Washington :
* **La Chine exporte massivement vers les États-Unis**, accumulant un excédent commercial gigantesque et des réserves de change en dollars.
* **Ces excédents sont réinvestis dans les bons du Trésor américain**, offrant à Washington une capacité d’endettement à bas coût et quasi illimitée.
Effets conjoints :
1. **Baisse des taux d’intérêt** : grâce aux achats chinois, les taux sur la dette américaine restent bas, stimulant crédit et investissement.
2. **Inflation contenue** : les produits manufacturés chinois bon marché maintiennent les prix bas aux États-Unis.
3. **Puissance budgétaire** : les États-Unis peuvent financer guerres, plans de relance et investissements stratégiques sans craindre l’inflation.
C’est cette combinaison qui a permis aux États-Unis de devenir la place financière dominante mondiale, écrasant la concurrence européenne. C’est Wall Street qui contrôle le monde.
Chapitre 6 – L’Europe, grande perdante**
En Europe, les années 1990 commencent sur un ton optimiste, notamment en Allemagne, qui profite d’une forte demande chinoise pour ses machines-outils et technologies industrielles. Mais rapidement, la Chine développe ses propres capacités de production et concurrence l’industrie européenne sur plusieurs segments.
Surtout, l’Europe ne bénéficie pas des deux leviers dont disposent les États-Unis :
* Afflux massif de capitaux chinois pour financer ses déficits.
* Importations à bas prix permettant de maintenir l’inflation à un niveau plancher.
Sans cet avantage, les États européens restent contraints par leurs déficits budgétaires et leur dépendance énergétique, ce qui les empêche de rivaliser avec la puissance de Wall Street.
Chapitre 7 – Les deux points de vue en confrontation
**Point de vue américain « orthodoxe »** :
L’entrée de la Chine à l’OMC a été une erreur stratégique. Les États-Unis ont sous-estimé la capacité chinoise à absorber les technologies, à développer son industrie et à devenir un concurrent stratégique. Washington a, en quelque sorte, « offert » la rampe de lancement de la puissance chinoise.
Point de vue alternatif « interdépendance rationnelle »:
> L’intégration de la Chine à l’OMC a été pensée dans l’intérêt américain. Les États-Unis ont utilisé les excédents commerciaux chinois pour financer leur dette à moindre coût, maintenir une inflation basse et asseoir la domination de Wall Street. La Chine a été un partenaire involontaire du système financier américain, et non l’inverse.
Conclusion
L’histoire économique récente démontre que la relation sino-américaine ne peut se réduire à un simple schéma de don et de contre-don. Ce fut une alliance asymétrique, où chaque partie trouvait son compte.
Les États-Unis, en intégrant la Chine à l’OMC, ont certes favorisé l’essor industriel chinois, mais ils ont surtout consolidé leur hégémonie financière grâce à l’afflux de capitaux chinois et à la désinflation importée. Pékin, de son côté, a transformé l’accès au marché américain en un outil d’industrialisation rapide.
Aujourd’hui, cette symbiose est en train de se défaire, laissant place à une rivalité ouverte. Mais il serait naïf de croire que l’Amérique a perdu la main par simple erreur stratégique : elle a joué un jeu complexe, et pendant deux décennies, elle a gagné.
Adam Smith,dans la Théorie des sentiments moraux (1759), introduit la notion de “Spectateur impartial (impartial spectator)” bien avant son ouvrage le plus célèbre La Richesse des nations (1778) et donc la main invisible.
C’est une idée morale et psychologique, pas directement économique, mais elle éclaire aussi ses conceptions du marché et du comportement humain.
Pour Smith, l'être humain ne prend pas ses décisions uniquement selon ses intérêts matériels. Il existe en nous une sorte de juge intérieur-le spectateur impartial- qui nous observe et évalue nos actions comme si nous étions une autre personne.
Objectif: échapper à notre égoïsme ou à nos passions immédiates en essayant de nous voir “de l’intérieur”
Smith pensait que cette capacité à se mettre à la place d’un tiers est essentielle pour la vie en société: sans elle, les échanges économiques, la confiance et la coopération ne seraient pas possibles.
Pourquoi c’est important en économie ?
Même dans un marché libre, la confiance et la réputation sont cruciales. Si les agents économiques (individus, entreprises , États) agissent uniquement par intérêt immédiat sans se soucier du regard du “spectateur impartial”, le système se dégraderait rapidement: fraude, abus, perte de confiance.
En d’autres termes “La main invisible du marché ne fonctionne que si les actions gardent une conscience morale”
Écriture et conception:kapayoalimasi@gmail.com, Mainz en Allemagne, ce samedi 16 Août 2025.
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