Friedrich List, le prophète oublié : Ce que l’Allemagne, les USA et la Chine nous enseignent sur le libre-échange par Guy Kapayo
Introduction
**Friedrich List, le prophète oublié : Ce que l’Allemagne, les USA et la Chine nous enseignent sur le libre-échange**
Dans les débats contemporains sur le commerce mondial, une figure méconnue resurgit discrètement parmi les économistes, les stratèges industriels et certains dirigeants politiques : **Friedrich List**, économiste allemand du XIXe siècle. Bien que son nom soit presque totalement absent des manuels scolaires en Afrique, ses idées, elles, vivent encore — appliquées de manière spectaculaire… par ceux-là mêmes qui prônent aujourd’hui le libre-échange à l’échelle planétaire.
Né en 1789, **Friedrich List** fut l’un des rares penseurs économiques à avoir compris que la richesse d’une nation ne repose pas seulement sur les **avantages comparatifs**, comme le prétendait l’économiste britannique David Ricardo, mais sur la capacité à développer ce qu’il appelait **la puissance productive** d’un pays : ses industries, ses compétences, ses infrastructures, son capital humain.
Pour **Friedrich List**, le **libre-échange n’est pas une vérité universelle**, mais une stratégie de domination utilisée par les nations puissantes pour empêcher les pays plus faibles de se développer. Il observait comment l’Empire britannique, après avoir protégé ses propres industries naissantes, imposait ensuite le libre-échange au reste du monde pour écouler ses produits et maintenir son hégémonie. C’est dans ce contexte qu’il écrivit sa célèbre œuvre :
*Le Système national d’économie politique*, 1841).
Son objectif était clair : **doter l’Allemagne d’une stratégie d’unification économique et industrielle**, fondée sur des barrières douanières temporaires, un soutien actif de l’État aux secteurs stratégiques, et une vision de long terme. **Friedrich List** ne s’opposait pas au libre-échange en soi, mais **à son application prématurée**, qui, selon lui, condamne les nations pauvres à rester des fournisseurs de matières premières.
Une pensée oubliée… sauf par ceux qui en profitent
Ironie de l’histoire : les pays qui ont connu les plus grands succès industriels des deux derniers siècles ont tous appliqué les principes de **Friedrich List** — **souvent sans le citer**. Les **États-Unis**, au XIXe siècle, sous Abraham Lincoln, ont protégé leurs industries avec des tarifs douaniers très élevés. La **Chine**, après la mort de Mao Tsé-toung, a méthodiquement fermé et protégé ses marchés, tout en développant ses capacités productives, avant de s’ouvrir avec force à l’OMC.
Aujourd’hui, les discours changent : les anciens champions du libre-échange, comme les États-Unis de Donald Trump et même l’Union européenne, adoptent un ton protectionniste au nom de la réindustrialisation. Pendant ce temps, la Chine signe des **accords commerciaux majeurs avec l’Afrique et le Moyen-Orient**, se présentant comme une championne d’un nouvel ordre commercial multilatéral. Et l’Afrique, elle, **se retrouve dans la même position que l’Allemagne de Friedrich List face à la Grande-Bretagne** : désindustrialisée, dépendante, sans stratégie nationale ou continentale.
Pourquoi cet article ?
Ce texte vise donc à **réhabiliter la pensée de Friedrich List** pour mieux comprendre les rapports de force économiques actuels, et en tirer des **enseignements pratiques pour les 54 pays africains**, souvent enfermés dans des logiques de libre-échange déséquilibrées, sans politiques industrielles cohérentes. En retraçant comment l’Allemagne, les États-Unis et la Chine ont construit leur puissance industrielle **grâce à des politiques protectionnistes intelligentes**, il s’agit aussi de poser la question suivante :
**Et si l’Afrique reprenait le fil d’une histoire économique qu’on lui a volée ?**
Chapitre 1
**Friedrich List face à la Grande-Bretagne : L’économie comme champ de bataille**
Au début du XIXe siècle, l’Europe sort à peine des guerres napoléoniennes. L’Allemagne n’est encore qu’un ensemble de royaumes et de principautés éparpillés, sans unité politique ni économique. La puissance industrielle dominante s’appelle alors **la Grande-Bretagne**, fière de ses manufactures, de sa flotte marchande et de ses colonies qui lui assurent matières premières et débouchés commerciaux.
C’est dans ce contexte que **Friedrich List**, jeune économiste badois, s’élève contre ce qu’il appelle **l’« impérialisme du libre-échange »** britannique. Car si la Grande-Bretagne promeut si ardemment le libre-échange à cette époque, c’est précisément parce qu’elle a **déjà atteint la suprématie industrielle** : elle n’a plus besoin de protéger ses industries, mais cherche au contraire à **écouler ses produits à l’étranger**.
Le libre-échange : un outil de domination
Pour **Friedrich List**, cette posture est pure hypocrisie. Il montre que **la Grande-Bretagne elle-même a protégé ses industries pendant plus d’un siècle** avant de promouvoir le libre-échange. À travers les **Navigation Acts** (lois de navigation) imposées dès le XVIIe siècle, elle a interdit le commerce maritime étranger avec ses colonies, contrôlé ses marchés intérieurs et soutenu activement son industrie textile et sidérurgique.
Ainsi, lorsque la Grande-Bretagne exige des autres pays européens (et notamment des petits États allemands) l’ouverture de leurs frontières aux produits britanniques, **Friedrich List** y voit une tentative déguisée de les maintenir dans un statut **d’éternels consommateurs**, dépendants de la puissance industrielle britannique.
Le Zollverein : une réponse politique à un enjeu économique
Pour contrer cette dépendance, **Friedrich List** devient l’un des principaux promoteurs d’une **union douanière allemande**, qui permettra aux États germaniques de commercer entre eux **sans barrières**, tout en **instaurant des droits de douane communs** vis-à-vis de l’extérieur. Ce projet, connu sous le nom de **Zollverein**, est mis en place progressivement à partir de 1834, avec la Prusse en moteur principal.
Le Zollverein n’est pas seulement une innovation économique : c’est **une étape décisive vers l’unité allemande** (réalisée politiquement en 1871). Il marque aussi une rupture avec l’idéologie dominante du libre-échange universel, en affirmant qu’un pays — ou un ensemble de pays — **a le droit de protéger ses intérêts économiques pour se développer**.
Une leçon historique pour les pays en développement
Ce que démontre **Friedrich List**, c’est que **toute grande puissance économique est née d’une phase de protectionnisme intelligent**, suivi d’une ouverture progressive lorsque les capacités productives sont matures. Il invente ainsi le concept de **« protection éducative »**, selon lequel les industries naissantes doivent être protégées temporairement, le temps de devenir compétitives.
Les États-Unis du XIXe siècle, admirateurs de Friedrich List, appliqueront cette stratégie avec succès. De même, au XXe siècle, le Japon, la Corée du Sud, la Chine, ou encore l’Allemagne de l’Ouest après 1945, suivront tous une **logique listienne**, bien que rarement assumée ouvertement.
Ce qu’il faut retenir
* Le libre-échange promu par les puissances industrielles **n’est pas neutre** : il sert des intérêts stratégiques.
* **Friedrich List** dénonçait l’usage du libre-échange comme **instrument de domination économique**, surtout lorsqu’il est imposé à des pays encore en phase de développement.
* Le **Zollverein** fut un modèle précoce d’intégration économique **sans abandon de souveraineté industrielle**.
* Cette lecture historique donne un éclairage précieux aux pays africains aujourd’hui, souvent confrontés aux mêmes injonctions à ouvrir leurs marchés, sans politique industrielle coordonnée.
Parfait ! Voici un **encadré pédagogique** à insérer à la fin du **Chapitre 1**, pour renforcer l’impact didactique de votre article — en particulier pour les lecteurs novices en économie ou intéressés par les stratégies concrètes.
Les 3 stratégies britanniques que Friedrich List critiquait ouvertement
1. **Protectionnisme déguisé sous forme d’exemplarité**
La Grande-Bretagne se présentait comme un modèle de libre-échange « naturel », alors qu’elle avait bâti sa puissance industrielle grâce à **plus de 150 ans de protection douanière**. Pour List, c’était comme « tirer l’échelle » après avoir gravi les échelons du développement.
2. **Utilisation des colonies comme débouchés captifs**
Grâce à son empire colonial, le Royaume-Uni contrôlait des marchés entiers (Inde, Afrique, Caraïbes), dans lesquels **les industries locales étaient interdites ou étouffées**, pour mieux importer les produits manufacturés britanniques. List y voit une logique de pillage par le commerce.
3. **Neutralisation des concurrents par le discours libre-échangiste**
Le discours britannique consistait à convaincre les autres nations (notamment l’Allemagne et la France) d’ouvrir leurs marchés aux produits anglais, tout en maintenant **un avantage technologique, financier et maritime écrasant**. Pour List, cela équivalait à une forme d’« empire économique sous couverture morale ».
Chapitre 2
**Les États-Unis : l’élève qui a mieux appliqué Friedrich List que l’Allemagne elle-même**
Ironie de l’histoire : **les idées de Friedrich List ont été plus fidèlement appliquées aux États-Unis** qu’en Allemagne, sa patrie d’origine. Alors que le monde associe aujourd’hui l’Amérique à la défense acharnée du libre-échange, son ascension au rang de superpuissance économique repose à l’origine sur une stratégie protectionniste vigoureuse, directement inspirée des critiques de Friedrich List.
Le « système américain » contre le libre-échange britannique
Dès les années 1790, les premiers dirigeants américains — Alexander Hamilton, Henry Clay, puis Abraham Lincoln — adoptent une politique économique connue sous le nom de **« système américain »**. Son principe fondamental : **protéger les industries naissantes** des États-Unis face à la concurrence écrasante de la Grande-Bretagne, en imposant **des droits de douane élevés** sur les produits manufacturés importés.
Friedrich List, exilé politique vivant en partie aux États-Unis dans les années 1820, **observe et soutient cette stratégie**. Il y voit la confirmation que les nations jeunes ou en développement ont besoin d’un **bouclier tarifaire** pour construire leur base industrielle. En retour, ses écrits influenceront profondément les économistes américains du XIXe siècle.
Résultats spectaculaires : naissance d’un géant industriel
De 1830 à 1900, les États-Unis protègent sévèrement leurs industries (textile, sidérurgie, machines-outils), tout en investissant dans l’éducation technique, les chemins de fer, et l’innovation. Cette stratégie porte ses fruits :
* En **1870**, les États-Unis rattrapent la Grande-Bretagne en production industrielle.
* En **1900**, ils sont déjà la **première puissance économique mondiale**.
* En **1913**, juste avant la Première Guerre mondiale, les États-Unis représentent **près de 32 % de la production industrielle mondiale**, loin devant l’Allemagne et le Royaume-Uni.
Ce succès historique **valide la théorie listienne** : aucune grande nation industrielle n’est née du libre-échange, mais toujours d’une **phase transitoire de protection organisée**.
Pourquoi l’Allemagne n’a-t-elle pas suivi son propre penseur ?
L’Allemagne du XIXe siècle adopte le **Zollverein** (l’union douanière défendue par List), mais son orientation économique reste longtemps **tiraillée entre l’idéalisme libre-échangiste britannique** et le réalisme industriel prussien. Ce n’est que tardivement — après l’unification en 1871 — que l’Allemagne adopte **un protectionnisme plus affirmé**, notamment sous Bismarck.
Mais l’écart historique est déjà creusé : **l’élève américain a dépassé le maître allemand**, précisément parce qu’il a mieux compris la portée stratégique des idées de Friedrich List. L’Allemagne industrielle se développe, mais reste longtemps dépendante des exportations et vulnérable aux chocs extérieurs.
Une leçon pour les pays africains d’aujourd’hui
Pour de nombreux pays d’Afrique, les États-Unis du XIXe siècle offrent un précédent éclairant :
* Ils étaient **périphériques**, **fragiles**, **dépendants** de l’exportation de matières premières (coton, bois, tabac).
* Ils ont **rejeté le libre-échange** en phase de croissance, pour construire une base industrielle solide.
* Ce n’est qu’après être devenus compétitifs qu’ils ont prôné l’ouverture commerciale.
Ce modèle peut inspirer **une politique industrielle active et coordonnée**, dans le cadre de la ZLECAf (Zone de libre-échange continentale africaine), pour éviter que l’Afrique reste un marché passif et désorganisé au profit des puissances étrangères.
Trois mesures protectionnistes clés des États-Unis entre 1820 et 1900
1. **Le Tarif de 1828 (Tariff of Abominations)**
L’un des plus hauts niveaux de droits de douane de l’histoire américaine : jusqu’à **50 % sur certains produits manufacturés**. Son but ? Protéger les industries naissantes du Nord contre les importations britanniques bon marché.
2. **Le Morrill Tariff (1861)**
Adopté à la veille de la guerre de Sécession, ce tarif augmenta fortement les droits de douane pour financer la guerre tout en **consolidant l’industrie sidérurgique**. Il a jeté les bases du développement massif du rail et de la construction.
3. **La politique des « Buy American » (fin XIXe siècle)**
Dès les années 1880, de nombreuses lois fédérales et locales privilégient l’achat de produits fabriqués aux États-Unis pour les marchés publics. Cette politique a soutenu la demande intérieure **tout en stimulant les chaînes d’approvisionnement locales**.
Chapitre 3
**La Chine et le grand retournement du libre-échange**
La trajectoire de la Chine contemporaine représente le **renversement stratégique le plus spectaculaire du libre-échange moderne**. D’abord pays fermé, appauvri et idéologiquement opposé au capitalisme, elle est aujourd’hui **le plus grand bénéficiaire du commerce mondial**, après avoir appliqué des méthodes très proches de celles que Friedrich List aurait défendues.
Une stratégie de développement listienne, sans jamais le nommer
Après la mort de Mao Tsé-Toung en 1976, Deng Xiaoping initie dès 1978 une série de réformes appelées « **socialisme de marché** ». Loin d’une ouverture soudaine, la Chine met en place :
* **Des zones économiques spéciales** (ZES) avec règles fiscales avantageuses, mais contrôlées.
* **Un contrôle strict des investissements étrangers** : obligation de coentreprises, transferts de technologie.
* **Des barrières non tarifaires** : subventions massives aux entreprises chinoises, contrôle des changes, politique industrielle ciblée.
Ce modèle, extrêmement pragmatique, **ressemble à une version chinoise du protectionnisme intelligent**. Il vise à intégrer l’économie mondiale *à ses propres conditions*.
L’entrée dans l’OMC : un tournant historique
En 2001, après plus de 15 ans de négociations, **la Chine rejoint l’Organisation mondiale du commerce (OMC)**. Cela marque un tournant majeur : le pays obtient l’accès à presque tous les marchés mondiaux, **sans ouvrir totalement les siens**.
Conséquences :
* **Transfert massif d’emplois industriels vers la Chine** (textile, électronique, acier…).
* **Accès privilégié au marché américain et européen**, tout en limitant les importations sensibles.
* **Explosion des excédents commerciaux** : la Chine devient l’atelier du monde.
Le retournement rhétorique : la Chine devient championne du libre-échange
Depuis la crise financière de 2008, et surtout depuis le repli américain sous Trump, **la Chine s’érige en défenseur du libre-échange multilatéral**. Lors du Forum de Davos en 2017, Xi Jinping proclame :
« Poursuivre le protectionnisme, c’est comme s’enfermer dans une pièce noire. »
En réalité, cette posture est hautement stratégique : **la Chine a atteint une compétitivité telle qu’elle n’a plus besoin de protection tarifaire classique**, et **veut sécuriser ses exportations**. Elle signe :
* Le **RCEP** (2020), accord de libre-échange avec 15 pays d’Asie-Pacifique.
* Des **accords stratégiques avec les pays du Golfe et 54 pays africains**, ouvrant son marché agricole, numérique et énergétique.
Une leçon implicite pour l’Afrique ?
La Chine a protégé ses industries, imposé les transferts de technologies, maîtrisé ses importations — **puis** elle s’est ouverte au commerce mondial. Elle a utilisé le libre-échange **comme un outil de domination, et non comme une idéologie**.
La principale leçon ?
**Il ne faut pas confondre libre-échange et naïveté économique.**
Pour les pays africains, suivre aveuglément une ouverture totale des frontières **sans politique industrielle préalable** revient à répéter les erreurs commises par l’Amérique latine ou les pays de l’Est après la guerre froide.
Chapitre 4
**Le retour du protectionnisme américain sous Trump et le MAGA : un Friedrich List inversé ?**
Le slogan "Make America Great Again" (MAGA), popularisé par Donald Trump dès sa campagne de 2016, a marqué un virage majeur : **la première puissance mondiale, jadis championne du libre-échange**, s’est mise à le critiquer vigoureusement.
Mais ce tournant n’a rien d’une nouveauté historique : **il rappelle les fondements mêmes de l’industrialisation américaine au XIXe siècle**, quand les États-Unis appliquaient les idées… de Friedrich List.
La désindustrialisation américaine : le diagnostic MAGA
Entre 2001 (entrée de la Chine dans l’OMC) et 2016 :
* Les États-Unis perdent **plus de 5 millions d’emplois industriels**.
* Certaines régions du Midwest deviennent la **"Rust Belt"** (ceinture de rouille), avec chômage, pauvreté et déclin démographique.
* Le **déficit commercial vis-à-vis de la Chine explose**, atteignant plus de 300 milliards de dollars par an.
Trump dénonce un libre-échange **déséquilibré**, qui profite à la Chine, aux multinationales… et appauvrit les classes moyennes américaines.
Les mesures protectionnistes de Trump
Fidèle à sa rhétorique anti-OMC, Trump lance dès 2018 une guerre commerciale contre la Chine :
* **Tarifs douaniers** massifs sur 360 milliards de $ de produits chinois.
* **Taxation de l’acier et de l’aluminium** européens et canadiens.
* Retrait de plusieurs accords multilatéraux (TPP, accords de Paris).
* Promotion du "Buy American" et relocalisation des industries critiques (puces électroniques, médicaments…).
Il s’agit là d’un protectionnisme **décomplexé**, **nationaliste**, inspiré des méthodes du XIXe siècle, mais dans un contexte très différent.
Un protectionnisme sans stratégie industrielle ?
Contrairement à la Chine ou à l’Allemagne de List, Trump n’a pas construit une **véritable politique industrielle structurée** :
* Aucune **vision de long terme** sur la montée en gamme des chaînes de valeur.
* Très peu d’**investissements dans la recherche, l’éducation ou la transition énergétique**.
* Résultats mitigés : certains emplois sont revenus, mais le déficit commercial américain est resté **globalement élevé**.
L’idée de Trump était plutôt une **riposte brutale** pour forcer la Chine et l’Europe à faire des concessions. Mais ce **protectionnisme défensif**, sans stratégie, **diffère radicalement** du "protectionnisme éducateur" de Friedrich List.
Friedrich List aurait-il soutenu Trump ?
**Pas totalement.** Friedrich List aurait reconnu certaines intuitions de Trump, notamment :
* La nécessité de **protéger les industries nationales** contre une concurrence déloyale.
* L’importance de **l’indépendance économique** face aux puissances rivales.
Mais il aurait **critiqué sévèrement** :
* Le **manque de vision à long terme** (List prônait une stratégie sur 30 à 50 ans).
* L’absence d’un **État stratège**, moteur du progrès technologique.
* Le populisme au détriment de la **cohérence industrielle et éducative**.
En somme, Trump est un "listien accidentel", sans avoir lu Friedrich List.
Chapitre 5
**L’Afrique et la tentation du libre-échange sans industrialisation : un naufrage prévisible à la lumière de Friedrich List**
La ruée vers le libre-échange… sans boussole
L’Afrique a connu ces dernières années une **intensification des accords de libre-échange** :
* **ZLECAf** (Zone de Libre-Échange Continentale Africaine) signée par 54 pays.
* Accords bilatéraux ou multilatéraux avec la Chine, l’Union européenne, le Royaume-Uni, la Turquie, les États du Golfe.
* Visites protocolaires spectaculaires, **signatures en cascade**, mais **peu de vision stratégique**.
Or, selon Friedrich List, **signer des accords de libre-échange sans industrie nationale forte revient à livrer son pays en pâture aux nations industrielles**.
L’absence de stratégie industrielle et technologique
Contrairement à la Chine post-Mao ou à l’Allemagne de Bismarck, la majorité des pays africains :
* **N’investissent pas massivement dans les infrastructures industrielles** (routes, électricité fiable, ports modernes).
* **Sous-financent les universités scientifiques et les centres de recherche**.
* Ne développent **aucune politique technologique à long terme** (IA, robotique, biotechnologie…).
* Continuent de **subventionner la consommation** plutôt que la production.
Pendant ce temps, la Chine investit dans l’IA, les semi-conducteurs, la conquête spatiale, et élabore une stratégie jusqu’en **2049** (centenaire de la RPC).
Libre-échange et corruption : un cocktail toxique
Le manque de vision industrielle est souvent **aggravé par la corruption** :
* Les accords commerciaux deviennent des **occasions de commissions occultes** ou de deals personnels.
* Les élites importent des produits finis avec exonération de droits de douane, **affaiblissant les producteurs locaux**.
* Aucun mécanisme sérieux n’est mis en place pour **évaluer l’impact économique et social** des accords.
Friedrich List aurait vu cela comme une **trahison de l’intérêt national**, un abandon de la souveraineté productive.
La diplomatie de la signature : docilité ou ignorance ?
La Chine, forte de sa stratégie industrielle, convoque les chefs d’État africains… qui viennent souvent **sans préparation sérieuse** :
* Pas de **livre blanc industriel africain**.
* Aucune **conditionnalité ou exigence de transfert technologique**.
* Pas de **protection des marchés stratégiques africains**.
Ce comportement rappelle ce que Friedrich List dénonçait chez certains dirigeants allemands de son époque : **l’aveuglement devant le prestige de la puissance dominante** (la Grande-Bretagne alors, la Chine aujourd’hui), au lieu de **défendre leur propre développement structurel**.
Que ferait Friedrich List en Afrique aujourd’hui ?
S’il observait la situation actuelle, Friedrich List plaiderait avec force pour :
1. Un **protectionnisme éducateur panafricain** : protection du textile, de l’agro-industrie, de l’électronique, etc.
2. Un **plan industriel continental sur 30-50 ans**, avec des filières prioritaires (énergie, numérique, transport, armement, pharmacie).
3. La création de **20 grandes écoles africaines de technologie de niveau mondial**, connectées à la diaspora et aux meilleures universités du monde.
4. La conditionnalité stricte des accords de libre-échange : **pas de signature sans garanties de transfert de technologie, formation locale, et emploi africain.**
Chapitre 6
**La Chine, de Friedrich List à Deng Xiaoping : l’élève devenu professeur du libre-échange**
Une élite chinoise qui a lu Karl Marx… et Friedrich List
Dès l’ouverture graduelle de la Chine après la mort de Mao en 1976, **les dirigeants chinois ne se sont pas précipités vers le libre-échange**. Ils ont commencé par **étudier attentivement l’histoire du capitalisme occidental** :
* **Karl Marx** : pour comprendre les dynamiques du capitalisme et les contradictions internes de l’exploitation.
* **Friedrich List** : pour apprendre **comment l’Allemagne avait protégé son industrie** face à l’Empire britannique.
* **Alexander Hamilton** et les pères fondateurs de l’économie américaine : pour comprendre les politiques protectionnistes américaines du XIXᵉ siècle.
* Les économistes de la **croissance endogène** (Paul Romer, Robert Lucas, etc.) : qui insistaient sur l’importance des **investissements publics dans l’éducation, la recherche, l’innovation**.
Autrement dit, **la Chine a appris de l’histoire des autres avant d’écrire la sienne**.
L'État stratège, planificateur, investisseur
Contrairement à l’idéologie néolibérale de l’école de Chicago, qui prônait le retrait de l’État, **la Chine a renforcé l’État** dans ses fonctions stratégiques :
* **Création de zones économiques spéciales** (Shenzhen en 1980 fut un laboratoire).
* Maintien d’un secteur public puissant dans les secteurs stratégiques (banques, télécoms, énergie).
* Investissements massifs dans **l’éducation, les infrastructures, la recherche, la robotique, et plus récemment l’IA**.
* Politique de **copiage temporaire, puis de montée en gamme** via des champions industriels comme Huawei, BYD, Haier, etc.
C’est une **application directe de la logique de Friedrich List** : protéger, éduquer, investir, puis concurrencer les nations industrielles sur leurs propres marchés.
L’entrée dans l’OMC : une victoire diplomatique… et stratégique
Lorsque la Chine entre dans l’OMC en 2001 :
* Elle n’est pas encore totalement libéralisée, mais elle **négocie habilement les délais, les secteurs ouverts et les conditions**.
* Elle utilise l’ouverture commerciale pour **attirer les capitaux, les technologies, et forcer les co-entreprises avec transfert de savoir-faire.**
* Les multinationales occidentales se ruent sur le marché chinois, pendant que **les Chinois apprennent à maîtriser les chaînes de valeur mondiales.**
En 20 ans, la Chine devient **l’usine du monde**, mais aussi une puissance **technologique, militaire et spatiale**.
De la périphérie à la centralité du capitalisme mondial
Aujourd’hui, la Chine :
* Défend **le multilatéralisme commercial** (ce que faisait la Grande-Bretagne à l’époque de Friedrich List).
* Signe des accords de libre-échange **avec 15 pays du Moyen-Orient**, **avec l’Asie-Pacifique** (RCEP), et **avec l’Afrique**.
* Définit des stratégies à 50 ans (ex. : *Made in China 2025*, *China Standards 2035*, *Vision 2049*).
Autrement dit, **la Chine est devenue ce que Friedrich List appelait "une nation parvenue à maturité industrielle"**, prête à défendre le libre-échange... **après avoir gravi l’échelle qu’elle recommande aux autres de brûler**.
Le renversement historique
C’est un renversement saisissant
Ce cycle donne **raison à Friedrich List** : **Le libre-échange n’est pas un dogme universel, c’est une stratégie de nations dominantes.*
Conclusion
**Friedrich List, le visionnaire oublié des nations en quête de développement**
À travers ce parcours historique et comparatif, une vérité essentielle émerge : **le libre-échange n’est pas une loi naturelle de l’économie, mais une stratégie politique au service des puissants**. C’est ce que Friedrich List, dès le XIXᵉ siècle, avait compris en observant l’hypocrisie de la Grande-Bretagne qui, après s’être industrialisée sous protection, exigeait le libre-échange des autres.
Les États-Unis, longtemps disciples des idées protectionnistes de List et de Hamilton, ont usé et abusé du protectionnisme jusqu’à leur domination industrielle, avant d’imposer le libre-échange au reste du monde via le GATT, le FMI et l’OMC. Aujourd’hui, sous l’effet du déclin industriel, **le trumpisme signe un retour brutal à ces doctrines protectionnistes**, mais sans la profondeur stratégique ni la vision industrielle de List.
La Chine, en revanche, a appliqué presque fidèlement la logique listienne. **Elle a protégé, investi, planifié, monté en gamme**, et seulement après, elle a défendu les principes du libre-échange, non pas par dogmatisme, mais par **calcul géopolitique et économique**. Elle incarne aujourd’hui ce que la Grande-Bretagne du XIXᵉ siècle représentait aux yeux de List : une puissance qui ouvre les marchés des autres après avoir fermé les siens pendant des décennies.
Quant à **l’Afrique**, elle demeure, hélas, **dans la périphérie passive du système**, souvent privée d’élites économiques bien formées, de stratégie industrielle nationale, et d’une culture économique rigoureuse. Ses dirigeants **signent des accords de libre-échange sans base industrielle, sans plan de montée en gamme, sans investissement massif dans l’éducation, l’énergie ou les technologies du XXIᵉ siècle.** C’est là que le message de Friedrich List est le plus urgent à réentendre : **le développement n’est pas un don du marché, mais une conquête politique et institutionnelle.**
Ce que les nations africaines peuvent apprendre de Friedrich List, des États-Unis d’hier et de la Chine d’aujourd’hui, c’est que **l’indépendance économique exige une stratégie industrielle sérieuse, cohérente, patiente — et non des slogans, ni des signatures diplomatiques sans vision.**
Bibliographie
1. **Friedrich List**, *Système national d’économie politique* (1841).
Traduction française, éd. Gallimard, coll. Tel, 1998.
2. **Ha-Joon Chang**, *Kicking Away the Ladder: Development Strategy in Historical Perspective*, Anthem Press, 2002.
(Excellent pour comprendre comment les pays riches ont utilisé le protectionnisme avant de prêcher le libre-échange.)
3. **Dani Rodrik**, *The Globalization Paradox*, Oxford University Press, 2011.
(Une réflexion contemporaine sur les limites du libre-échange pour les pays en développement.)
4. **Robert Wade**, *Governing the Market: Economic Theory and the Role of Government in East Asian Industrialization*, Princeton University Press, 1990.
(Analyse de l’État développeur et des politiques industrielles en Asie.)
5. **Erik Reinert**, *How Rich Countries Got Rich and Why Poor Countries Stay Poor*, Constable, 2007.
(Relecture des idées listiennes adaptées aux pays en développement.)
6. **Daron Acemoglu et James Robinson**, *Why Nations Fail*, Crown Business, 2012.
(Sur le rôle des institutions dans le développement économique.)
Conception et écriture, Kapayoalimasi@gmail.com, dans la ville de Mainz en Allemagne, ce jeudi 10 Juillet 2025. En ce moment, Donald Trump a convoqué 5 présidents africains pour trois jours aux USA et leur faire signer des accords de libre-échange sans vision pour l’Afrique.
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