*Plaidoyer pour un capitalisme stratégique adapté aux réalités africaines* par Guy Kapayo
Pourquoi le capitalisme anglo-saxon imposé par le FMI ne marche pas en Afrique ?
**L’Afrique n’est pas l’Amérique : pourquoi le modèle du FMI ne marchera jamais sur le continent africain**
*Plaidoyer pour un capitalisme stratégique adapté aux réalités africaines*
1.Introduction : Le grand malentendu économique**
Depuis le début des années 1980, l’Afrique vit sous ordonnance. Le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, bras économique du consensus de Washington, ont imposé à une cinquantaine de pays africains un traitement de choc :
ouverture des marchés, privatisations massives, réduction du rôle de l’État, et suppression des barrières douanières. Ce remède, connu sous le nom de **Programmes d’ajustement structurel (PAS)**, était censé relancer les économies africaines, attirer les investisseurs, et les intégrer dans le « marché mondial ». Quarante ans plus tard, le bilan est sans appel : désindustrialisation, endettement, explosion de l’informel, dépendance accrue aux matières premières, et surtout, un continent qui reste à la traîne du développement.
Le malentendu est profond : **l’Afrique n’est pas l’Amérique**, et elle ne le sera jamais. Le modèle économique anglo-saxon – basé sur la dérégulation, la liberté totale des capitaux, et la main invisible du marché – repose sur une histoire, une culture et des institutions propres aux États-Unis et au Royaume-Uni. Or, ces deux pays ont bâti leur puissance non pas sur le laisser-faire qu’ils prêchent aujourd’hui, mais sur un **protectionnisme féroce**, un **État stratège**, et des politiques industrielles volontaristes. C’est en fermant leurs frontières, en protégeant leurs industries naissantes, et en investissant dans leur appareil productif qu’ils ont rattrapé et dépassé les puissances européennes.
L’Afrique, au contraire, a été sommée par le FMI (PAS) d’ouvrir ses frontières dès le départ, sans industrie à défendre, sans tissu entrepreneurial solide, et sans pouvoir fiscal digne de ce nom. Résultat : une dépendance chronique à l’aide internationale, des économies fragiles, et un sous-développement structurel. Le modèle importé du FMI, conçu pour des économies matures et libérales, est inadapté aux réalités africaines.
Mais tout n’est pas perdu. Car d’autres voies existent. L’Afrique peut et doit puiser dans **d’autres traditions capitalistes** – comme le **modèle colbertiste français**, le **modèle rhénan allemand**, ou encore le **capitalisme confucéen chinois** – où l’État ne s’efface pas, mais guide et oriente l’économie. Elle peut aussi s’appuyer sur les travaux des économistes de la **croissance endogène**, qui placent l’éducation, les infrastructhres , l’innovation technologique et les institutions au cœur du développement.
Ce plaidoyer est un appel à **changer de boussole économique**. Il est temps de rompre avec le mimétisme néocolonial et d’inventer un capitalisme africain, enraciné dans nos réalités, nos besoins, et nos ambitions.
Chap 1: Le capitalisme anglo-saxon : un modèle inadapté à l’Afrique
Le modèle capitaliste anglo-saxon, tel que promu par le FMI et la Banque mondiale, repose sur trois piliers idéologiques :
1. **Le marché comme autorégulateur suprême**,
2. **La privatisation des services publics**,
3. **La limitation volontaire du rôle de l’État**.
Ce modèle a été présenté aux pays africains comme un chemin universel vers la croissance. Mais derrière les beaux discours de « bonne gouvernance », de « libre concurrence » et de « discipline budgétaire », se cache une réalité brutale : **la mise sous tutelle économique de l’Afrique**.
1. Une logique de démantèlement de l’État
Les PAS ont obligé les gouvernements africains à tailler dans leurs dépenses sociales : hôpitaux, écoles, transports publics, subventions à l’agriculture ont été réduits ou supprimés. L'État a été présenté comme un obstacle au développement, alors qu’il aurait dû en être **le moteur**.
Or, **aucune nation ne s’est développée sans un État fort**. Les États-Unis, qui prêchent aujourd’hui le libéralisme à l’Afrique, ont eux-mêmes construit leur puissance grâce à un État stratège, intervenant massivement dans l’agriculture, les chemins de fer, l’industrie militaire, l’innovation. Ce n’est pas le « laisser-faire » qui a fait l’Amérique, mais **le protectionnisme, l’intervention publique, et la volonté politique**.
2. Une ouverture prématurée et dangereuse
L’ouverture forcée des marchés africains a eu pour effet direct de **détruire les industries naissantes locales**. Comment une petite entreprise textile à Bamako ou à Kinshasa peut-elle rivaliser avec des produits subventionnés venus de Chine ou d’Europe ? Le principe du libre-échange n’a de sens que si toutes les parties sont en capacité de produire, d’exporter et d’innover. En Afrique, on a ouvert les frontières **sans industrie, sans technologie, sans capital**.
Résultat : le tissu productif africain s’est effondré. Les marchés sont inondés de produits étrangers bon marché, l’informel s’est généralisé, et les exportations restent concentrées sur quelques matières premières. Le continent est resté **prisonnier d’un modèle extractif**, hérité de la colonisation, que les institutions de Bretton Woods n’ont jamais vraiment remis en cause.
3. Des exemples concrets d’échec
De nombreux pays africains ont suivi à la lettre les prescriptions du FMI – avec pour seuls résultats l’instabilité, la pauvreté et l’endettement :
* **Ghana** : après avoir été l’un des premiers élèves du FMI, le pays a connu une croissance sans transformation structurelle. Aujourd’hui encore, il dépend fortement de l’or, du cacao et du pétrole.
* **Zambie** : la privatisation brutale des mines de cuivre dans les années 1990 a enrichi des multinationales… et appauvri l’État.
* **Côte d’Ivoire** : la libéralisation sans filet a aggravé les inégalités régionales et fragilisé la cohésion nationale.
Dans tous ces cas, les États ont été affaiblis, les services publics dégradés, et les populations appauvries. Et pourtant, **le FMI continue d’imposer les mêmes recettes**, comme s’il s’agissait d’une vérité universelle.
Chap 2. Les modèles alternatifs : colbertiste, rhénan, confucéen… Une autre voie est possible**
Face à l’échec visible du modèle anglo-saxon en Afrique, il est urgent de se tourner vers d’autres formes de capitalisme, plus compatibles avec les réalités sociales, historiques et institutionnelles du continent. Plusieurs modèles économiques ont permis à d’autres régions du monde de se développer sans sacrifier l’autorité de l’État ni l’intérêt général. Parmi eux, trois se distinguent : **le modèle colbertiste français**, **le modèle rhénan allemand**, et **le modèle confucéen asiatique (Chine, Corée, Japon)**.
1. Le capitalisme colbertiste français : l’État bâtisseur
Inspiré de Jean-Baptiste Colbert, ministre de Louis XIV, ce modèle repose sur **un État fort qui planifie, soutient et dirige l’économie**. En France, pendant les Trente Glorieuses (1945–1975), l’État a joué un rôle moteur dans la reconstruction industrielle, la nationalisation de secteurs clés (énergie, transports, banque), et l’investissement massif dans l’éducation et les infrastructures.
Ce modèle valorise le **patriotisme économique**, l’**investissement public stratégique**, et la **protection des industries naissantes**.
L’Afrique peut s’en inspirer pour construire ses propres chaînes de valeur industrielles, en s’appuyant sur des banques publiques, des entreprises nationales, et des politiques industrielles sectorielles (agroalimentaire, textile, énergie, numérique).
2. Le capitalisme rhénan : coopération et long terme
Pratiqué en Allemagne, en Autriche et dans les pays scandinaves, le capitalisme rhénan repose sur trois piliers :
* **la cogestion entre patrons et syndicats**,
* **la stabilité des relations de travail**,
* **le soutien aux PME industrielles exportatrices**.
L’Allemagne, par exemple, a bâti un tissu dense de petites et moyennes entreprises hautement spécialisées, soutenues par des banques locales, des centres de formation professionnelle performants, et une culture de l’excellence industrielle. Ici, l’objectif n’est pas le profit rapide, mais **la qualité, l’innovation et la stabilité sociale**.
Ce modèle offre à l’Afrique un cadre inspirant : former sa jeunesse dans des métiers qualifiés, protéger les savoir-faire locaux, créer des partenariats durables entre État, secteur privé et société civile.
3. Le capitalisme confucéen : discipline, planification, nation et vision de long-terme.
En Asie de l’Est (Chine, Corée du Sud, Japon), le capitalisme s’est développé **sous la houlette d’un État planificateur** qui fixe les grandes orientations, pilote l’investissement, contrôle les secteurs stratégiques, et guide les grandes entreprises nationales vers l’exportation.
* En Chine, c’est le plan quinquennal, le contrôle du crédit, et l’investissement dans l’infrastructure qui ont permis l’essor.
* En Corée du Sud, les **chaebols** (groupes industriels nationaux) ont été appuyés par l’État dès les années 1960.
* Ces pays n’ont pas cédé aux pressions du FMI pour ouvrir précocement leurs marchés : **ils ont d’abord bâti leur puissance économique**, puis ont ouvert progressivement.
Ce modèle, qui lie **discipline collective, vision stratégique, et souveraineté économique**, montre qu’un développement rapide est possible même en partant de peu – à condition de **refuser le dogme libéral**.
Chap 3. Une stratégie pour l’Afrique : vers un capitalisme africain stratégique et endogène**
L’Afrique n’a pas besoin de copier mécaniquement un modèle étranger. Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est **bâtir un modèle africain de développement**, adapté aux réalités du continent : une démographie dynamique, une forte informalité économique, une jeunesse en quête d’emploi, des ressources naturelles abondantes mais mal valorisées, et des États souvent fragilisés mais essentiels.
Le défi est clair : il faut **reconstruire des économies africaines souveraines, productives, durables**, en s’inspirant des réussites ailleurs, tout en inventant une voie propre.
1. Réhabiliter l’État stratège
Le retour de l’État comme acteur central n’est pas une option, c’est une nécessité. Il doit :
* Planifier les priorités industrielles et agricoles à moyen et long terme.
* Protéger les marchés intérieurs des importations massives qui tuent l’industrie locale.
* Investir dans les infrastructures, la recherche, l’éducation technique et la formation professionnelle.
* Créer ou relancer des **entreprises publiques stratégiques** dans l’énergie, les transports, l’eau, les minerais.
Cela ne signifie pas revenir à l’étatisme inefficace du passé, mais à **un État partenaire, régulateur, développeur**, comme le furent les États européens ou asiatiques dans leur phase de décollage.
2. Promouvoir la croissance endogène
La croissance africaine ne viendra pas de l’extérieur, ni des exportations de matières premières brutes. Elle viendra de l’intérieur :
* De la transformation locale des produits agricoles et miniers.
* Du soutien aux artisans, aux PME, aux coopératives.
* De la dynamisation des marchés domestiques et régionaux, à travers la **Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf)**.
Les théories de la **croissance endogène**, développées par des économistes comme Paul Romer ou Robert Lucas, insistent sur le fait que **l’innovation, le savoir-faire, et le capital humain** sont les véritables moteurs du développement à long terme. Or, l’Afrique regorge de talents, d’idées, d’énergies. Il faut les organiser, les former, les financer.
3. Investir dans la jeunesse et l’éducation productive
L’arme la plus puissante de l’Afrique, c’est sa jeunesse. Mais aujourd’hui, elle est désorientée, sous-éduquée, ou mal formée. Il est urgent de :
* Repenser l’éducation pour la rendre **plus technique, plus entrepreneuriale, plus connectée au monde réel**.
* Créer des instituts polytechniques, des incubateurs, des partenariats entre universités et entreprises.
* Encourager la recherche locale sur les technologies agricoles, les énergies renouvelables, le numérique, l’industrie légère.
4. S’appuyer sur la Diaspora africaine (double culture ) et les alliances Sud-Sud
La diaspora africaine est un atout stratégique. Elle détient des compétences, des réseaux, des capitaux, et surtout une **double culture** qui peut servir de pont entre l’Afrique et le reste du monde.
Il faut également renforcer les alliances avec des pays du Sud (Asie, Amérique latine) qui ont vécu des transitions similaires. L’Afrique doit choisir ses partenaires, et non subir ses « donneurs d’ordres ».
Chap 4.Conclusion : Le moment est venu pour un réveil économique africain**
L’Afrique est à la croisée des chemins. Depuis les années 1980, le continent a été le laboratoire involontaire d’une expérience économique fondée sur une idéologie qui ne lui correspond pas. En imposant les recettes néolibérales, le FMI et la Banque mondiale ont voulu greffer un modèle anglo-saxon sur une réalité profondément différente. Résultat : désindustrialisation, dépendance, précarité, affaiblissement des États et perte de souveraineté économique.
Mais **l’histoire n’est pas écrite à l’avance**. De la même manière que les États-Unis, l’Allemagne, la Chine ou la Corée du Sud ont su construire leur propre voie, l’Afrique peut – et doit – inventer la sienne. Un modèle qui s’appuie sur **un État stratège, une vision à long terme, la mobilisation de son capital humain et culturel, et une intégration régionale ambitieuse**.
Ce n’est pas en répétant les erreurs du passé que l’Afrique s’émancipera. C’est en **reprenant le contrôle sur ses politiques économiques, ses ressources, ses priorités**, qu’elle bâtira une prospérité durable. Cela suppose :
* De refuser les diktats qui détruisent la production locale.
* De former une nouvelle génération d’économistes, d’ingénieurs, de décideurs engagés dans l’intérêt commun.
* De forger une pensée économique africaine moderne, connectée au réel, ancrée dans l’histoire et tournée vers l’avenir.
L’Afrique n’a pas besoin de pitié ni de modèles importés. Elle a besoin de **souveraineté intellectuelle, économique et stratégique**.
Le temps est venu de rompre avec les recettes qui échouent et de bâtir un **capitalisme africain endogène, humain, productif et souverain**.
Conception et écriture par Kapayoalimasi@gmail.com, Allemagne Ce jeudi 15.05.2025

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