Comment s'est contruit les USA au 19ème siècle ? Est-ce le laisser faire ? par Guy Kapayo
L’État s’est-il construit par le marché et le « laisser-faire », ou par une stratégie protectionniste active pour favoriser l’industrialisation ?
I. Contexte général : Les États-Unis au début du XIXe siècle
1.1 Une jeune république face à un empire industriel
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Les États-Unis accèdent à l’indépendance en 1776.
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Au début du XIXe siècle, c’est une économie essentiellement agricole, peu industrialisée, dominée par le commerce maritime.
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Le Royaume-Uni est alors la première puissance industrielle mondiale, avec une domination dans le textile, la métallurgie, les transports et les échanges mondiaux.
1.2 Un territoire en expansion
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La conquête de l’Ouest (Doctrine de la « Destinée manifeste ») alimente l’extension territoriale.
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L'esclavage reste une question divisant le Nord et le Sud.
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Mais déjà, deux modèles économiques apparaissent :
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Le Sud esclavagiste, tourné vers l’exportation de coton.
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Le Nord industrialisant, protectionniste, tourné vers le marché intérieur.
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II. Le rôle décisif de l’État fédéral : un État stratège
Contrairement à l’idée reçue d’un capitalisme américain né du « laisser-faire », l’État américain joue un rôle déterminant et protectionniste.
2.1 L’influence d’Alexander Hamilton (1755–1804)
Premier secrétaire au Trésor (1789), Hamilton est le père du protectionnisme industriel américain. Dans son « Report on Manufactures » (1791), il propose :
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La protection des industries naissantes (« infant industries ») contre la concurrence britannique.
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Des subventions, infrastructures, crédit public pour stimuler l’industrie nationale.
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Une banque nationale pour soutenir l’investissement.
2.2 Mise en place du tarif douanier (Tariff Act)
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Dès 1816, les États-Unis instaurent des droits de douane élevés sur les importations, notamment les produits manufacturés britanniques.
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C’est le début d’un protectionnisme actif, renforcé tout au long du siècle :
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Tarif de 1828 (Tariff of Abominations)
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Tarif Morrill (1861)
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Tarif McKinley (1890)
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👉 Les tarifs douaniers américains restent parmi les plus élevés au monde pendant tout le XIXe siècle.
III. Une politique industrielle volontariste
3.1 La construction d'infrastructures
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Le gouvernement fédéral et les États financent massivement :
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les canaux (ex. : canal Érié, 1825)
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les chemins de fer (grants de terres, subventions : ex. Pacific Railway Acts, 1862)
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Objectif : intégrer le marché intérieur, soutenir l’expansion vers l’Ouest, et faciliter le commerce interrégional.
3.2 Une politique foncière stratégique
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Homestead Act (1862) : terres gratuites aux colons, favorisant la création de fermes et d’un marché intérieur.
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Land Grant Colleges : financement des universités techniques pour former une main-d’œuvre qualifiée.
3.3 Le financement public de l’innovation
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Soutien indirect à la recherche (brevets, subventions, commandes publiques)
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Favorise la montée d’une technostructure industrielle.
IV. Le capitalisme américain naissant : protégé, pas spontané
4.1 Une industrialisation portée par l'État
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Les grandes industries naissent sous protection : textile, acier, chemins de fer, machines-outils.
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Les grandes figures comme Carnegie, Vanderbilt, Rockefeller bénéficient d’un cadre public favorable, pas d’un simple « laisser-faire ».
4.2 L’émergence d’un marché intérieur géant
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Le protectionnisme protège l’industrie contre le Royaume-Uni.
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L’expansion territoriale, les infrastructures et l’immigration soutiennent la demande.
4.3 Le « laissez-faire »... en trompe-l’œil
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En réalité, l’État n’intervient pas dans la régulation sociale ou salariale, mais soutient activement le capitalisme industriel.
V. Le tournant de la guerre de Sécession (1861–1865)
5.1 Une guerre idéologique et économique
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Nord : industrialisation, protectionnisme, État fédéral fort
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Sud : agriculture esclavagiste, libre-échange, autonomie des États
5.2 La victoire du Nord = victoire du modèle industriel protectionniste
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Après 1865, le modèle nordiste devient celui de tous les États-Unis.
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Montée en puissance de l’industrie lourde, du capitalisme financier, des monopoles.
VI. Comparaison avec le Royaume-Uni et l’Europe
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Le Royaume-Uni adopte un libre-échange très tôt (Corn Laws abolies en 1846).
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Les États-Unis font l’inverse : ils deviennent une puissance industrielle mondiale en restant protectionnistes jusqu’à la Première Guerre mondiale.
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Idée de « rattrapage stratégique » (comme l’Allemagne de Friedrich List, qui admire Hamilton).
Conclusion : Une leçon d’histoire économique à retenir
Contrairement au mythe du « self-made capitalism » né du marché seul, les États-Unis se sont construits par une stratégie étatique claire, protectionniste, interventionniste et structurante.
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Le laisser-faire n’était que partiel (absence de régulation sociale), mais l’État jouait un rôle massif dans :
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le soutien à l’industrie naissante
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la construction d’infrastructures
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la protection commerciale
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l’expansion territoriale et foncière
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Ce modèle a permis aux États-Unis de dépasser le Royaume-Uni comme première puissance industrielle mondiale au tournant du XXᵉ siècle.
Références utiles
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Alexander Hamilton, Report on Manufactures (1791)
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Friedrich List, Système national d’économie politique (1841)
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Ha-Joon Chang, Kicking Away the Ladder (2002)
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Erik Reinert, How Rich Countries Got Rich... and Why Poor Countries Stay Poor (2007)
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